Face à la domination technologique des grandes puissances et à la militarisation de l’intelligence artificielle, la neutralité des Etats ne repose plus sur la simple abstention militaire : dépendants numériquement, ils perdent de fait leur souveraineté. Pour la Suisse, rester neutre impliquerait dès lors une véritable indépendance numérique.
Historiquement, la neutralité désigne la position d’un Etat qui choisit de ne pas prendre part à un conflit armé entre d’autres puissances en s’abstenant de toute aide militaire directe ou indirecte. Cette posture repose sur un principe fondamental du droit international: la souveraineté. Définie par Jean Bodin comme la puissance absolue et perpétuelle d’un Etat sur son territoire, la souveraineté comprend deux dimensions – interne et externe – consacrées à l’article 2.1 de la Charte des Nations Unies.
Mais à l’ère du cyberespace, des plateformes globales et de l’intelligence artificielle militarisée, cette conception est remise en question. La maîtrise des frontières physiques ne suffit plus. Un Etat dont les données sont hébergées à l’étranger, dont les communications transitent par des infrastructures privées ou dont l’opinion publique est structurée par des algorithmes transnationaux, perd, de fait, une part de son autonomie. Il devient dépendant – donc vulnérable –, même sans être formellement engagé dans un conflit.
Depuis les origines d’Internet, les infrastructures numériques mondiales sont dominées par des acteurs américains. Plus de 95 % du trafic mondial de données transitent par des câbles sous-marins financés ou exploités par des entreprises comme Google, Meta, Amazon ou Microsoft. Ces firmes, soumises aux législations extraterritoriales américaines (Patriot Act, CLOUD Act), peuvent être contraintes de transmettre des données hébergées même en dehors des Etats-Unis.
Les révélations d’Edward Snowden en 2013 ont démontré l’ampleur de la surveillance mondiale exercée par les agences de renseignement américaines grâce à cette emprise sur les infrastructures globales. La neutralité des Etats, dans ce contexte, devient purement formelle: même non-engagés dans un conflit, ils peuvent être espionnés, manipulés ou désinformés. Lire la suite…