Y a-t-il un vainqueur dans la guerre actuelle au Proche-Orient?

Publié le 1 novembre 2024
Fin octobre 2024. Soit plus d’un an après le début de la guerre dénommée «Tempête Al Aqsa». Jusqu’à maintenant aucune partie directement impliquée dans cette guerre ne peut se prévaloir d’une victoire nette. 3 populations paient un prix très cher. Certainement les Palestiniens, puis les Libanais et, enfin les Israéliens eux-mêmes. Evidemment les souffrances ne sont pas les mêmes pour chacune de ces 3 catégories.

Malek El-Khoury, observateur indépendant, Beyrouth


Toutes les forces sont affaiblies, peu importe s’il s’agit d’Etats ou d’entités non-étatiques. Hamas, l’Autorité Palestinienne, les Houthis, Le Hashd esch-Chaabi d’Irak, Hezbollah, l’Iran, mais aussi la Jordanie, l’Egypte et même Israël.

Les autres pays arabes, principalement ceux du Golfe, ainsi que la Turquie, la Russie, la Chine ont plus ou moins brillé soit par leur silence ou par un soutien discret à l’un ou l’autre des camps en conflit. Comme dit le proverbe «les absents ont toujours tort». Les discrets sauront si le camp choisi est le bon cheval.

En parallèle de cette guerre des rapprochements, voire des négociations ont eu lieu. Soit pour tenter de calmer le jeu, voire cesser la guerre, soit pour libérer les otages, soit pour des raisons stratégiques et/ou politiques. Le principal accord, celui entre l’Iran et l’Arabie saoudite (initié par la Chine), est celui dont je considère qu’il est la seule dynamique positive.

Rien n’est fini pour le moment. Les va-t-en-guerre continuent leur jusqu’auboutisme et les autres continuent d’espérer l’accalmie. Qui l’emportera? Pour le moment, je pense qu’il est encore trop tôt pour se prononcer, car il y a des actes de cette pièce de théâtre qui ne sont pas encore terminés. Certains ne sont pas encore écrits, d’autres ne sont pas encore mis en scène. Peut-être même que certains auteurs et acteurs ont de nouvelles idées, soit machiavéliques, soit magiques.

Un nouvel acte vient – enfin – d’être rendu public. La frappe dans les limites des demandes américaines vient d’avoir lieu. Israël a frappé l’Iran mais uniquement des bases militaires. Pour le moment pas encore trop de détails sur les réels dégâts en Iran ne sont connus. Mais il semble qu’il s’agit tout de même de frappes sensibles, qui font mal.

La réaction immédiate iranienne a été d’affirmer que ces frappes ont été «limitées». Peu importe l’ampleur des dégâts, cette réponse dénote clairement la non-envie de la part de l’Iran de ne pas élargir la zone de guerre, sachant qu’automatiquement les Américains entreront en scène et nul ne pourra affronter ces derniers directement. Cependant l’Iran se donne aussi le droit de répondre à une attaque sur un pays souverain.

Il est probable que l’Iran ne réagira plus directement, mais indirectement à travers ses proxies. Or dans son axe de la Résistance, seul Hezbollah peut encore agir. Mais pour combien de temps? Ce dernier est affaibli. Il a perdu pas mal d’hommes, sa direction a été décimée, et, surtout l’environnement géographique et social qui le «protégeait» (la population du Sud et la région du Sud Liban détruite un peu comme Gaza l’a été) s’est effrité et disloqué. De surcroît, si l’on en croit les informations israéliennes, les Iraniens auraient perdu une capacité à produire de nouvelles armes, dont celles utilisées par Hezbollah. Ce dernier ne pourrait donc plus vraiment se réapprovisionner comme il le souhaite en armes.

Si les Américains font ce même raisonnement, ils pourraient se dire que la guerre pourrait (devrait?) continuer afin d’éliminer Hezbollah comme cela a été fait avec Hamas. Et, peut-être même continuer avec l’Iran. Indépendamment de qui prendra le pouvoir aux USA aux prochaines élections.

Ce risque de continuer la guerre est très sérieux. Personnellement, je pense que ce raisonnement est erroné. Car autant Hamas que Hezbollah sont des idées et des croyances, basées sur la même foi qui mobilise les extrémistes israéliens à penser qu’ils sont le peuple élu et que leur terre va du Nil à l’Euphrate et qu’ils doivent la reprendre. Ces mouvements renaîtront de leurs cendres mais de manière plus radicale, plus organisée, plus structurée.

Puis, si l’on met les idéologies de côté, face au camp pro-américain, il y a un autre axe militaire non négligeable qui est celui Chine-Russie-Corée du Nord-Iran (dont 3 puissances nucléaires). Evidemment cet axe n’est pas encore tout à fait consolidé, mais il s’en faut de peu.

Un troisième élément encore plus lointain mais qui suit néanmoins son cours, est la dernière réunion des BRICS. Certes cet ensemble hétéroclite en gestation ne représente pas encore un «danger» pour le camp occidental, mais pourrait le devenir à l’avenir.

Pour résumer:

  1. Les Palestiniens, que ce soit l’Autorité palestinienne, la population ou Hamas ou les autres factions armées sont en position de survie défensive et ont subi des pertes considérables;
  2. Hezbollah est affaibli, toutefois ce groupe n’a – jusqu’à maintenant – pas encore perdu sa capacité de frappe ni organisationnelle. Cependant le Liban et les Libanais souffrent de cette guerre, problème qui s’ajoute à la crise qui dure depuis 2019;
  3. Si l’armée d’Israël conserve une supériorité militaire considérable, sa population, son économie, sa structure sociologique et démographique sont déboussolées. Même les munitions et certaines armes commencent à manquer. De même que les pertes militaires, non avouées, autant en hommes qu’en matériel sapent le moral des troupes;
  4. L’Irak et le Yémen, deux autres pays de l’axe de la Résistance ont aussi subi des frappes israéliennes et américaines douloureuses;
  5. L’Iran, après la frappe israélienne, est certainement affaibli, et aussi par le fait même que ses alliés dans la région le sont.

Si jamais les Américains souhaitent une continuation et une extension de la guerre, comme mentionné plus haut, pourront-ils la contenir et la laisser dans son cadre régional ou débordera-t-elle de son contexte? Ce «containment» semble difficile dans la situation actuelle et les risques de débordement doivent être sérieusement pris en considération.

Les Américains, qui craignent plus que tout l’imprévisible, risqueraient-ils de s’embourber dans une ou des guerres dont ils ne pourront pas prévoir l’issue? Surtout que jusqu’à maintenant, ce sont les seuls qui semblent avoir gagné des points dans cette guerre et sont actuellement en position de force. Sont-ils vraiment vainqueurs dans cette guerre? Provisoirement certainement, mais le vrai résultat se percevra dans quelque temps.

Du fait de l’affaiblissement de toutes les parties au conflit, les Américains peuvent (c’est d’ailleurs ce qu’ils font à leur façon) se présenter comme étant les seuls à pouvoir «aider» à non seulement arrêter la guerre mais aussi à la reconstruction. Evidemment leur objectif camouflé est de dominer entièrement cette région extrêmement riche en matières premières, en marchés potentiels, et de bloquer l’avancée de la Chine vers l’Afrique ou l’Europe.

Choix cornélien pour les Américains à la veille d’élections où les candidats sont au coude-à-coude. Ils pourraient proposer une trêve, qui irait jusqu’au 20 janvier 2025 (date de la prise de fonctions du nouveau président), pour ensuite imposer leurs règles. Et éventuellement pouvoir instaurer le «Nouveau Moyen-Orient» dont ils rêvent depuis des décennies.

La pièce de théâtre est loin d’être terminée. (A suivre)

Beyrouth le 27.10.2024


NB: je signale que la présente analyse (comme toutes les précédentes ou les suivantes) ne concerne qu’un seul et unique aspect de la complexité de la politique moyen-orientale ou mondiale. Il ne faut donc pas la considérer comme complète et exhaustive. La situation est beaucoup plus nuancée que cela.

Je précise également que ceci est ma propre opinion dont j’assume seul la totale responsabilité.

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