Une maman de pierre

Publié le 6 mai 2022

© jelleharmen via Unsplash

Emanuelle Delle Piane a déjà publié de nombreuses pièces de théâtre et recueils de nouvelles. Mais avec «Grenier 8» qui vient de paraître aux éditions Livreo-Alphil, c’est la première fois qu’elle se lance dans l’écriture d’un roman.

Son héroïne est une dessinatrice de presse qu’un appel téléphonique de son cousin va sortir de sa routine et ramener sur les traces de son enfance. Faute de savoir dire non, elle accepte de rendre un service qui va l’obliger à commettre une violation de domicile. La maison dans laquelle elle s’introduit subrepticement lui est familière, puisqu’elle y a grandi, élevée par sa grand-mère et une vieille tante revêche.

La simple idée que quelqu’un ait pu y habiter après elle lui est insupportable. C’est dire si elle est loin de se douter de l’usage sordide auquel le grenier a été affecté.

Au fil des flashbacks amenés avec beaucoup de pertinence, les enjeux s’éclairent peu à peu et certains personnages prennent de l’épaisseur, tandis que d’autres sont volontairement maintenus dans un flou qui laisse toute latitude à l’imagination du lecteur. Ainsi la mère, absente du roman comme elle l’a été de l’enfance de la narratrice, dont on sait uniquement qu’elle pète plus haut que son cul.

Emanuelle Delle Piane excelle dans l’art d’en dire juste assez pour nous faire deviner tout ce qu’elle cache à coup d’ellipses. Comme sa narratrice n’est pas du genre à céder à l’auto-apitoiement, elle nous brosse, par toutes petites touches d’apparence anodines, le portrait d’une fillette que ses parents ont jadis déposée comme un paquet encombrant dans un bistrot où personne n’avait de temps à lui consacrer et où elle était toujours sur le chemin de quelqu’un. 

Chez cette auteure d’origine chaux-de-fonnière et italienne, le style comme l’humour se caractérisent par une incisive délicatesse. Les dialogues agrémentés de nombreux régionalismes contribuent à l’authenticité des personnages et à la crédibilité de l’histoire. La structure parfaitement maîtrisée dénote un sens de la mise en scène bien rôdé. Les différents éléments de l’intrigue sont amenés très habilement et l’auteure réussit à instiller beaucoup de suspens dans un récit à la deuxième personne où il se passe somme toute assez peu de choses.

Il y a bien un scandale de mœurs, une chasse au trésor et de rocambolesques passages de frontière, mais ce ne sont là que des éléments de décor, l’important est ailleurs… 

Cela donne un roman extrêmement bien construit, touchant et ancré dans un lieu précis avec, de temps en temps, quelques audaces qui peuvent passer pour des facilités (comme de faire parler chaque étage de la maison), mais qui se justifient pleinement, parce qu’au final, cette maison a tenu lieu d’amie, c’est le regard tendre et maternel avec lequel l’héroïne s’est construite.


«Grenier 8», Emanuelle Delle Piane, Editions Livreo-Alphil, 146 pages.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Culture

En mémoire d’un Noël étrange au doux parfum de reviens-y…

Dans «Mon Noël avec Marcia», récit aussi bref que dense, entre hyper-réalité et rêverie, Peter Stamm évoque une «fête de dingues» où l’on a connu la plus intense liberté, à moins qu’on ait fantasmé ou arrangé les faits?

Jean-Louis Kuffer
Culture

Le roman filial de Carrère filtre un amour aux yeux ouverts…

Véritable monument à la mémoire d’Hélène Carrère d’Encausse, son illustre mère, «Kolkhoze» est à la fois la saga d’une famille largement «élargie» où se mêlent origines géorgienne et française, avant la très forte accointance russe de la plus fameuse spécialiste en la matière qui, s’agissant de Poutine, reconnut qu’elle avait (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Ecrivaine, éditrice et engagée pour l’Ukraine

Marta Z. Czarska est une battante. Traductrice établie à Bienne, elle a vu fondre son activité avec l’arrivée des logiciels de traduction. Elle s’est donc mise à l’écriture, puis à l’édition à la faveur de quelques rencontres amicales. Aujourd’hui, elle s’engage de surcroît pour le déminage du pays fracassé. Fête (...)

Jacques Pilet
Culture

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Quand notre culture revendique le «populaire de qualité»

Du club FipFop aux mémorables albums à vignettes des firmes chocolatières NPCK, ou à ceux des éditions Silva, en passant par les pages culturelles des hebdos de la grande distribution, une forme de culture assez typiquement suisse a marqué la deuxième décennie du XXe siècle et jusque dans la relance (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Un western philosophique où les balles sont des concepts

Le dernier livre d’Alessandro Baricco, «Abel», se déroule au Far West et son héros est un shérif tireur d’élite. Il y a bien sûr des coups de feu, des duels, des chevaux, mais c’est surtout de philosophie dont il s’agit, celle que lit Abel Crow, celle qu’il découvre lors de (...)

Patrick Morier-Genoud
Culture

Quentin Mouron ressaisit le bruit du temps que nous vivons

Avec «La Fin de la tristesse», son onzième opus, le romancier-poète-essayiste en impose par sa formidable absorption des thèmes qui font mal en notre drôle d’époque (amours en vrille, violence sociale et domestique, confrontation des genres exacerbée, racisme latent et dérives fascisantes, méli-mélo des idéologies déconnectées, confusion mondialisée, etc.) et (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

«L’actualité, c’est comme la vitrine d’une grande quincaillerie…»

Pendant de nombreuses années, les lecteurs et les lectrices du «Matin Dimanche» ont eu droit, entre des éléments d’actualité et de nombreuses pages de publicité, à une chronique «décalée», celle de Christophe Gallaz. Comme un accident hebdomadaire dans une machinerie bien huilée. Aujourd’hui, les Editions Antipode publient «Au creux du (...)

Patrick Morier-Genoud
Culture

Quand Max Lobe dit le Bantou s’en va goûter chez Gustave Roud…

«La Danse des pères», septième opus de l’écrivain camerounais naturalisé suisse, est d’abord et avant tout une danse avec les mots, joyeuse et triste à la fois. La «chose blanche» romande saura-t-elle accueillir l’extravagant dans sa paroisse littéraire? C’est déjà fait et que ça dure! Au goûter imaginaire où le (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Quand Giuliano Da Empoli s’en prend aux nouveaux prédateurs

A l’inquiétude croissante et confuse qui prévaut aujourd’hui, l’essayiste, en homme de grande expérience «sur le terrain», observateur lucide nourri d’Histoire et dont le présent récit foisonne d’anecdotes significatives, oppose sa lucidité d’esprit libre en nous promenant du siège new yorkais de l’ONU aux coulisses machiavéliennes de Riyad ou Washington, (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Deux écrivains algériens qui ne nous parlent que de l’humain

Kamel Daoud, avec «Houris» (Prix Goncourt 2024) et Xavier Le Clerc (alias Hamid Aït-Taleb), dans «Le Pain des Français», participent à la même œuvre de salubre mémoire en sondant le douloureux passé, proche ou plus lointain, de leur pays d’origine. A l’écart des idéologies exacerbées, tous deux se réfèrent, en (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Quand Julien Sansonnens décrit juste une vie dans «Une vie juste»

Après avoir traité de sujets plus dramatiques en apparence, comme dans «L’Enfant aux étoiles» évoquant la tragédie de l’Ordre du Temple solaire, l’écrivain sonde les eaux semblant paisibles, voire stagnantes d’une vie de couple approchant de la cinquantaine, mais les Suisses au-dessus de tout soupçon risquent, eux aussi, de se (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Les leçons de Maître Arditi rayonnent de belle humanité

Un grand roman chatoyant, «Le Danseur oriental», préludant à une prochaine «Trilogie de Constantinople», et précédé par une profession de foi «identitaire», «Comment je suis devenu juif en dix leçons (avant de virer parano)», déploient le double talent de romancier et d’essayiste-humaniste généreux dont nous avons grand besoin aujourd’hui…

Jean-Louis Kuffer
Culture

Quand le «Tout» abuse par trop des généralités négatives

Dystopie évoquant l’emprise globale d’un empire numérique à l’américaine, le dernier roman de Dave Eggers, après «Le Cercle», tient de la visite guidée aux enfers suaves du virtuel pavés de bonnes intentions imposées à chacune et chacun par le nouveau Big Brother. Bien vu dans une foison de détails, dont (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

La saignée de l’affreux «Boucher» tient de l’exorcisme vital

A partir de faits avérés, la prolifique et redoutable Joyce Carol Oates brosse, de l’intérieur, le portrait d’un monstre ordinaire de la médecine bourgeoise, qui se servait des femmes les plus démunies comme de cobayes utiles à ses expériences de réformateur plus ou moins «divinement» inspiré. Lecteurs délicats s’abstenir…

Jean-Louis Kuffer
Culture

L’Amérique de Trump risque-t-elle de comploter contre elle-même?

Une fiction historico-politique mémorable de Philip Roth, «Le complot contre l’Amérique», évoquant le flirt du héros national Charles Lindbergh, «présidentiable», avec le nazisme, et deux autres romans récents de Douglas Kennedy et Michael Connelly, incitent à une réflexion en phase avec l’actualité. Est-ce bien raisonnable?

Jean-Louis Kuffer