Publié le 7 avril 2020

Le Premier ministre britannique Boris Johnson (ici en campagne en 2012), d’abord rétif aux mesures de confinement, a annoncé être contaminé par le coronavirus. Comme un certain nombre de politiciens ailleurs en Europe. – © Boris Johnson 2012 – CC

Le Covid-19 frappe tout le monde indistinctement. Mais dans de nombreuses régions du monde, c'est une maladie apportée par les riches et bien connectés, ceux qui voyagent, même si ce sont les pauvres qui en subiront les effets les plus dramatiques.

Lorsque la pandémie est arrivée au Chili fin mars, le gouvernement a instauré, en bonne tradition latino-américaine, un couvre-feu nocturne, puis il a confiné les beaux quartiers de sa capitale, Santiago. Un ami qui réside à Providencia, le centre animé et chic de cette grande ville très inégalitaire, m’a expliqué sur Whatsapp qu’il n’avait plus la possibilité de sortir de chez lui, sinon pour l’indispensable. Adieu, donc, les promenades dans les montagnes voisines qu’il affectionne. En revanche, les quartiers pauvres, à l’extérieur, d’où viennent les vendeuses, caissières et femmes de ménage de ces mêmes beaux quartiers, ne sont pas soumis au même régime strict.

Le Covid-19 frappe tout le monde sans distinction, mais ses voies de diffusion, on l’a vu, ont suivi celles des circuits de la mondialisation. Née en Chine en novembre où elle a été niée au lieu d’être maîtrisée, la pandémie s’est étendue, d’abord au fil des relations que les habitants de Wuhan avaient avec leur environnement proche, puis de plus en plus lointain pour frapper les pays riches d’Europe et d’Amérique du Nord dès janvier. Puis, de là, au reste du monde, moins riche, moins connecté.

Ignorance et toute-puissance

En Chine, le phénomène a suivi les mouvements de foule des congés du Nouvel-An. Mais dans le reste du monde, il a été véhiculé par les personnes qui voyagent loin: femmes et hommes d’affaires, cadres d’entreprises, étudiants, responsables politiques, fonctionnaires, artistes, journalistes, en plus de ceux qui rendaient visite à leurs familles et proches. Puis, dans un second temps, il s’est répandu au fil des gens qui voyagent loin et souvent: femmes et hommes d’affaires, cadres d’entreprises, étudiants, responsables politiques, fonctionnaires, artistes et journalistes. Des femmes de ménages et des ouvriers aussi, mais certainement en moins grand nombre. Ceux-là ont, le plus souvent, été victimes de leur ignorance.

C’est ainsi que d’importants foyers d’infection se sont fait jour non pas tant dans les centres industriels des grandes villes, mais dans des stations de ski chics comme Ischgl, Verbier, Courchevel ou Vail. Pourquoi dans ces localités de montagne et pas dans les nœuds de mondialisation comme Londres, Paris et Francfort? Parce que ces métropoles sont très bien quadrillées et les gens se sont vite adaptés aux règles. Mais à la montagne, c’est une autre affaire: dans le grand cirque blanc, dans l’euphorie des vacances, on oublie la prudence, on se croit plus fort que la mort. Et comme beaucoup d’argent circule, personne n’ose vraiment gâcher la fête, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Le désintérêt du peuple

Des gouvernements responsables, comme en Corée du Sud, à Taiwan ou Singapour, ont répondu de manière rapide et déterminée, une efficacité que l’on peut mesurer aujourd’hui. Et d’autres ont tant nié le défi de la pandémie qu’ils sont aujourd’hui noyés sous les problèmes: Etats-Unis, Iran, Royaume-Uni, Brésil, Russie… tous dirigés par des populistes ou autocrates davantage intéressés par la préservation de leur pouvoir que par le bien-être de leurs peuples. Aveuglement, désintérêt certainement. Mais aussi absence totale de volonté de prendre la moindre mesure qui pourrait déranger la masse de leurs électeurs. Donald Trump et Boris Johnson ont fait passer leurs intérêts électoraux avant ceux de leur pays. Sans même aller jusqu’à la caricature de Jair Bolsonaro, qui n’a même pas réagi lorsque des membres de son équipe rapprochée sont rentrés infectés d’un voyage… chez Donald Trump à Mar-a-Lago, on peut dire que ces dirigeants irresponsables n’ont viré leur cuti que lorsque la réalité du défi ne pouvait plus être ignorée.

Maladie répandue dans le monde par les élites, le Covid-19 est aussi une maladie d’élites. Elle révèle la croyance de toute-puissance de certains de ses membres, qui ont voulu ignorer la réalité de cette maladie, par des fêtes sauvages dans les lieux de vacances, ou qui en ont nié les effets jusqu’à ce qu’il soit gravement trop tard pour la prévenir efficacement. Comme maintes pandémies du passé, celle-ci met crûment en lumière les comportements irresponsables, individuels et collectifs. Et montre qui, des puissants, des riches, des bien connectés, s’est montré totalement en-dessous de ses responsabilités.

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