TikTok: comment la Chine étend sa censure au monde entier

Publié le 10 décembre 2019
Quoi de plus efficace pour ralentir la réflexion contestataire et détourner l’attention des masses que de les divertir? La Chine semble avoir trouvé en l’application TikTok une arme de distraction massive, comme le rapporte la version allemande de Vice.

«TikTok, aussi appelée Douyin est une application mobile de partage de vidéo et de réseautage social lancée en septembre 2016. Elle est développée par l’entreprise chinoise ByteDance. Son logo évoque une note musicale.» Voici ce qu’on peut lire sur Wikipédia. En gros, il s’agit d’une plateforme musicale qui permet à ses utilisateurs de se filmer sur la chanson de leur choix pendant 60 secondes, puis d’éditer et de monter leurs vidéos. Téléchargée plus d’un demi-milliard de fois, elle serait la troisième application la plus populaire du monde devant Facebook et Instagram. Ça, c’est pour le côté pile.

Le côté face est nettement plus inquiétant.

Alors que la crise hongkongaise faisait rage, de nombreux utilisateurs de l’application se sont aperçus que le sujet était pratiquement absent sur la plateforme, selon le Washington Post. Ce qui a éveillé les soupçons sur une éventuelle censure. En septembre, The Guardian s’est procuré des documents contenant les consignes données aux modérateurs de TikTok. Il leur est notamment demandé de supprimer les contenus politiques en général et ceux qui pourraient déplaire au gouvernement chinois en particulier. «Les critiques du système socialiste chinois étaient globalement bannies pour motif decritique/attaque envers les règles politiques ou sociales d’un pays’», rapporte The Guardian.

En novembre, le compte TikTok d’une étudiante américaine qui dénonçait l’oppression des Ouïghours en Chine a été suspendu. Feroza Aziz était parvenue à échapper à la censure en dissimulant son discours politique derrière ce qui semblait être un tutoriel sur le maquillage. L’application a fini par présenter ses excuses en évoquant une erreur de modération.

La fuite du manuel destiné aux modérateurs contient d’autres éléments: afin de contourner les accusations de censure, Bytedance contrôle le contenu que les utilisateurs peuvent voir, sans forcément les supprimer. Elle contrôle également l’audience des vidéos en choisissant celles qu’elle décide de promouvoir, de mettre en avant sur la plateforme. 

Trois équipes de trois pays différents sont chargées de visionner les vidéos dès leur création: les petits succès vont à Barcelone, les audiences moyennes à Berlin et les hits viraux directement à Pékin. C’est donc précisément les messages particulièrement réussis comme le faux tuto de Feroza qui migrent directement en Chine. Le niveau de censure dépend donc de l’intérêt des utilisateurs. Les vidéos les moins susceptibles de faire du grabuge seront d’avantage mises en avant par TikTok. «Ce petit coup de pouce n’est rien de plus qu’une récompense pour avoir répandu une bonne humeur inoffensive et ne pas avoir fait de remarques controversées ou provoquantes sur des sujets importants qui donnent une mauvaise image de la politique chinoise. Ceux qui font cela sont punis. Et dans la plupart des cas, cela arrive si subtilement que vous ne le remarquez même pas», écrit Vice.


Pour lire l’article original, c’est par ici!

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

La loi du plus fort, toujours

Le mérite de Donald Trump est d’éclairer d’une lumière crue, sans fioritures, la «loi du plus fort» que les Etats-Unis imposent au monde depuis des décennies. La question des barrières douanières est le dernier avatar de ces diktats qui font et firent trembler le monde, au gré des intérêts de (...)

Catherine Morand

Surveillance, censure: le plan «Going Dark» de l’UE est en marche

Ce vaste programme conçu par l’Union européenne en 2023 a été relancé ce 25 juin. Il s’agit d’inciter les Etats membres à accélérer les mesures de surveillance des réseaux sociaux et même des mails. Pour lutter contre la «désinformation». Autrement dit: ce qui contrarie les discours officiels. Pourquoi cette offensive (...)

Jacques Pilet
Accès libre

«Désinformation»: le nouveau mot pour interdire les opinions

Faut-il vérifier et interdire les «fake news»? Pas systématiquement selon le journaliste allemand Jakob Schirrmacher, spécialisé dans l’éducation aux médias. Car la démocratie ne peut être protégée en restreignant la liberté d’expression et la contribution au débat. Dans son ouvrage, «Désinforme-toi!», il s’inquiète de l’ingérence de l’Etat dans le débat (...)

Heinz Moser

Chine-Russie: le nouvel axe du monde est là pour durer

Dans la mythologie chrétienne et nombre de religions, l’Axis Mundi est le centre sacré de l’univers, le moyeu autour duquel les différentes parties du monde s’ordonnent et trouvent leur place. Ce rôle était tenu jusqu’ici par l’Occident incarné par le binôme Europe-Etats-Unis. Il a désormais basculé vers l’Asie, autour de (...)

Guy Mettan

Chongqing, la ville-monde que le monde ne veut pas connaître

Première entité urbaine du monde, cette ville du sud-ouest de la Chine en est aussi la première métropole industrielle. On y fabrique voitures, motos, laptops ou encore smartphones, et on y maîtrise parfaitement l’intelligence artificielle. Si un mur d’ignorance sépare l’Occident de Chongqing, et aussi un peu de sinophobie, la (...)

Guy Mettan

La Chine, première puissance mondiale en 2049?

En 2008, les Jeux Olympiques de Pékin ont illustré avec munificence le retour de la Chine à l’avant-scène mondiale. Le pays devance désormais les Etats-Unis dans le domaine industriel et menace leur hégémonie militaire. En 2049, dans un quart de siècle, il célèbrera le centenaire de la proclamation de la (...)

André Larané

Bienvenue dans l’ère post-libérale!

Face à ses adversaires divisés, Trump a beau jeu de les jouer les uns contre les autres, comme il vient de le faire en gelant soudainement son projet de taxes douanières pour mieux cibler la Chine. Mais ce revirement de situation momentané n’y change rien: nous sommes résolument entrés dans (...)

Guy Mettan

La Libération selon Donald Trump

Dans un monde où la globalisation semble perdre de son influence, les nations se replient sur elles-mêmes, préférant un protectionnisme croissant. Des barrières commerciales se dressent, non seulement à l’initiative des Etats-Unis de Trump, mais aussi d’autres pays comme le Mexique, l’Europe ou la Chine. Ce phénomène n’est plus temporaire, (...)

Michel Santi

L’Amérique du Sud préfère la Chine

L’Argentine, le Brésil ou encore le Pérou exportent chaque année davantage de produits en direction du marché chinois au dépend des Etats-Unis, explique «Zonebourse».

Bon pour la tête

Aux USA, la chasse aux livres «dangereux» se renforce

Des auteurs supprimés, comme Noam Chomsky ou Anne Frank. Des sujets bannis, comme l’avortement et l’homosexualité, la lutte contre les discriminations et celle contre le racisme. Nos confrères du magazine italien «L’Espresso» relatent comment, dans l’Amérique trumpienne, des bibliothèques sont épurées de livres jugés dangereux pour la suprématie américaine.

Patrick Morier-Genoud

La stratégie du choc de Donald Trump

Le blocage des fonds de l’USAID, lundi dernier, a semé la panique chez les bénéficiaires de l’aide au développement américaine. Il illustre surtout de façon spectaculaire la méthode du «choc et de la stupeur» pratiquée par Trump. A l’inverse, Russes et Chinois semblent opter pour une approche plus souple, plus (...)

Guy Mettan
Accès libre

Brevets en oncologie: l’Europe à la traîne

Beaucoup d’idées, peu de percées: si les entreprises européennes jouent un rôle clé dans la recherche sur le cancer, une étude de l’Office européen des brevets révèle que le vieux continent risque toutefois de perdre la main, dépassé par les Etats-Unis et la Chine.

Bon pour la tête
Accès libre

Le boom des exportations chinoises

Malgré les tentatives occidentales pour limiter les importations de produits chinois, le volume de celles-ci a augmenté de 40% en 5 ans, expliquent nos confrères des «Echos».

Bon pour la tête

Vive la censure! Vraiment?

Faut-il mieux surveiller les réseaux sociaux – autrement dit renforcer la censure – pour protéger la démocratie? C’est ce que propose le conseiller national écologiste Raphaël Mahaim.

Jacques Pilet