Publié le 31 mars 2020
Le 20 mars 2020, le Vatican a accordé par décret l'indulgence plénière aux patients du Covid-19 et au personnel soignant exposés à la contagion. Mais attention, il s’agit d’une offre sous conditions.

Laurent Flutsch


«Si tu ne finis pas ta purée de foie de zygolophodon dit l’hominidé africain à l’un de ses rejetons, tu seras privé de désert». Datée d’il y a six millions d’années (à un quart d’heure près), cette scène du Miocène tardif suscite une importante controverse scientifique. Une première école, qui englobe tous les préhistoriens, prétend qu’il s’agit de foutaise inventée. La seconde école, qui englobe l’auteur de ces lignes, affirme que pas du tout. Car tout se tient: le susdit bambin adorait terminer ses repas en allant croquer les larves blanchâtres et dodues qu’on trouve dans les cactus. Lesquels poussent où donc? Dans le désert. C’est bien la preuve, non?

Quoi qu’il en soit, on déduit de l’épisode en question que le principe de la carotte et du bâton remonte à la nuit des temps. C’est ce principe qui, par la suite, favorisa l’essor des grandes civilisations: sans les notions de récompense et de punition, comment empiler des tonnes de marbre, promouvoir la discipline militaire, garantir la stabilité des institutions ou s’assurer la politesse des esclaves? Et plus tard encore, le clergé catholique mit carrément le paquet: sans doute inspiré par la connotation phallique de la carotte et du bâton, il les plaça au fondement de tout.

Recyclant allégrement les mythes païens, l’Eglise décréta ainsi qu’à leur décès, les gens pieux ayant tout fait bien comme il faut, sans commettre le moindre péché, gagneraient le paradis pour jouir éternellement de la contemplation de Dieu (carotte); les autres subiraient, pour l’éternité aussi, d’épouvantables supplices dans les flammes de l’enfer (panpan-cucul). Le truc marcha très bien, mais il restait un peu simpliste. Rares sont en effet les saints, et s’il suffisait aux autres de passer à confesse et d’obtenir l’absolution pour monter tout droit au ciel, franchement ce n’était pas du jeu, non mais sans blagues. Afin d’augmenter la pression sur les gueux, la papauté du Moyen Age inventa donc le purgatoire. Dès lors, défunter dans la foi, les sacrements, la bénédiction, la rémission des péchés et tout le tralala ne procurait plus l’accès immédiat au paradis. Non non non: il fallait encore expier les péchés pardonnés en purgeant une peine plus ou moins longue au purgatoire. Lequel n’était pas rigolo, car le feu y brûlait. C’était futé comme tout.

Mieux encore, le clergé pouvait accorder des remises de peine. Ainsi, pour que les fidèles ou leurs proches déjà disparus rissolassent

moins longtemps au purgatoire, des dévotions variées, et notamment des donations à l’Eglise, étaient fortement conseillées. Ces bonnes actions étaient converties en bons de réduction, ou «indulgences», sur la durée de détention provisoire. Dès le XVe siècle, les diocèses en imprimèrent des millions dont ils firent un commerce très juteux, ouvrant aux prélats les joies du luxe luxurieux. Pour dire, ça agaça tellement un dénommé Luther qu’il en devint protestant.

Si leur négoce est désormais passé de mode, les indulgences ont subsisté dans le droit canon. Elles relèvent depuis 1917 de la Pénitencerie apostolique, un tribunal du Vatican. Lequel a accordé par décret, le 20 mars 2020, une indulgence plénière aux malades du Covid-19, ainsi qu’au personnel soignant exposé à la contagion. Mais attention, il s’agit d’une offre sous conditions: pour y avoir droit, il faut bien sûr être catholique et convenablement dévot, assister à des messes à distance, relire la Bible «au moins une demi-heure» et réciter les prières requises. Moyennant quoi on coupera au purgatoire. N’est-ce pas merveilleux?

On n’ose imaginer ce que serait la situation, en Italie particulièrement, sans le secours du Saint-Siège. Et en plus, dimanche dernier le pape a officiellement «demandé à Dieu de stopper l’épidémie avec sa main». Mais Dieu, semble-t-il, a perdu la main.


Cet article a été publié dans le numéro 442 (27 mars 2020) de Vigousse. 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Albert de Pury, adieu l’humaniste

En guise d’hommage à Albert de Pury, nous publions un de ses textes, paru dans «L’Hebdo» en 2015 et intitulé: «Quand les Livres saints prônent la violence». Spécialiste de l’histoire biblique, lisant le Coran et la Bible dans leur version originale, il y expliquait notamment comment les intégrismes sont d’abord (...)

Anna Lietti
Accès libre

Léon XIV et J.D. Vance partagent les mêmes modèles

A peine élu, le pape américain Léon XIV est déjà célébré ou vilipendé comme anti-Trump. Pourtant, à y regarder de plus près, plusieurs aspects de la doctrine chrétienne le rapprochent étonnamment du vice-président néo-catholique J.D. Vance.

Bon pour la tête

Un pape urbi, orbi et bobo

Le pape François est mort, personne ne peu l’ignorer. Qu’il repose maintenant en paix, même si les médias en on fait un «people» comme un autre, dont on nous dit tout sans rien nous en dire. Pourquoi tant de ferveur médiatique?

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

«Make Religion Great Again»: la place de la religion dans l’Etat trumpien

Le 7 février dernier, Donald Trump a créé au sein de la Maison Blanche un «bureau de la foi», chargé de renforcer la place de la religion aux Etats-Unis. Que signifie la création de cette nouvelle instance, et que dit-elle de l’administration Trump 2?

Bon pour la tête

Histoire et instrumentalisation du concept de «civilisation judéo-chrétienne»

En France comme en Israël, des démagogues plaident aujourd’hui pour la défense de la «civilisation judéo-chrétienne». Ils relancent ce faisant un débat vieux de deux siècles sur les liens entre judaïsme et christianisme. D’abord nourri par la laïcisation des sociétés européennes, puis par la montée du nazisme, ce débat l’est (...)

Bon pour la tête

Nouvelles du Qinghai et du Xizang (Tibet)

La prochaine fois que vous irez à Lhassa, n’oubliez pas d’y visiter le musée d’Art moderne. Grimpez les escaliers souvent étroits et raides du Palais Blanc et du Palais Rouge du Potala, brûlez une chandelle de beurre de yack devant l’un des milliers de bouddhas peints du Jokhang. Ils sont (...)

Guy Mettan

Vœux pieux

En ces temps de fortes tensions raciales, il nous semble plus salutaire que jamais d’essayer de nous défaire des idées toutes faites, des stéréotypes qu’on nous a inculqués, d’apprendre à connaître l’autre, à ne pas l’essentialiser et à aimer la différence pour ce qu’elle est. Pour ce faire, nous avons (...)

Yves Tenret

Cārtārescu le visionnaire se la joue archange de roman

Avec «Théodoros», roman historico-poétique d’une fascinante splendeur verbale, combinant une épopée conquérante marquée par autant de faits glorieux que de crimes sanglants commis au nom de Dieu comme il continue d’en proliférer, et le récit d’une destinée aux multiples dédoublements, Mircea Cārtārescu signe un chef-d’œuvre porté par un souffle irrépressible, (...)

Jean-Louis Kuffer
Accès libre

«Le christianisme originel a été perverti par les Eglises»

Il y a des livres dont on a d’autant plus de joie à dire du bien que nous ne souscrivons pas à leurs thèses centrales. Ainsi en va-t-il du «Plaidoyer pour un renouveau européen», de Martin Bernard, paru ce printemps aux éditions lausannoises BSN Press. Petit essai élégant et agréable, (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Choisis la vie

La question de la liberté est fondamentale en philosophie. Elle l’est tout autant dans les textes des mythologies de par le monde et dans ceux des grandes religions. Penchons-nous sur un passage de la Torah, étudié dans la liturgie juive en cette période de l’année, qui nous guide à travers (...)

Loris Salvatore Musumeci

Lambert Schlechter fait parler Dieu en mécréant de bonne foi

Le Tout-Puissant n’en peut plus de n’entrevoir, au bout du couloir de l’éternité, aucune issue. La faute aux mortels qui l’ont taxé précisément d’Eternel, alors qu’eux ont la chance de ne faire que passer. Lui languit de ne point mourir: c’est ce que nous apprenons, d’emblée, dans ces «Fragments du (...)

Jean-Louis Kuffer
Accès libre

Contrats de vaccination: et les clauses de responsabilité?

Des milliards ont été dépensés de manière opaque pour conclure les contrats d’achat des doses de vaccin anti-Covid. Les sommes exactes sont tenues secrètes, mais pas seulement: l’exonération de responsabilité des groupes pharmaceutiques est aussi l’objet d’un silence pesant.

Bon pour la tête
Accès libre

Turquie: où en est-on trois ans après la transformation de Sainte-Sophie en mosquée?

En octobre 2023, le ministre turc de la Culture et du Tourisme a annoncé que l’entrée dans l’ancienne basilique byzantine devenue mosquée allait redevenir payante à compter de janvier 2024, pour les visiteurs étrangers, afin de financer la préservation de l’édifice.

Bon pour la tête

Vous reprendrez bien un peu de sexe?

C’est la période des Fêtes, on est tous gavés de dinde, de bûche de Noël, de foie gras, de champagne et de pinard, de conversations bien ennuyeuses et de musiques mièvres. Mais côté sexe, qu’en est-il? Voilà une sélection tout à fait subjective de quelques sujets sexuels trouvés dans les (...)

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

Inde: la démocratie doit-elle avoir peur de Narendra Modi?

Nombreux sont les médias à s’être offusqués de la présence du Premier ministre indien à la fête nationale française, le 14 juillet dernier: son parti de la droite nationaliste hindoue est accusé de dérive autoritaire et d’extrémisme religieux. Certains y voient déjà la fin de «la plus grande démocratie du (...)

Accès libre

Ce qu’il faudrait savoir sur les vaccins Covid à ARNm

Alexandra Henrion Caude est généticienne et neurobiologiste. Elle est l’auteur d’un succès de librairie paru en mars de cette année intitulé «Les Apprentis sorciers. Tout ce que l’on vous cache sur l’ARN messager». Cette spécialiste des maladies génétiques et de l’ARN nous éclaire sur le développement de ces nouveaux vaccins (...)