Retrouver sa liberté intérieure malgré les mesures covid

Publié le 3 décembre 2021
On l’aura dit à toutes les époques: «nous sommes en pleine crise!» Quand ce n’est pas à l’approche d’une guerre, c’est à cause d’un krach boursier, quand ce n’est pas la crise financière de 2008, c’est la crise sanitaire dans laquelle nous étouffons depuis près de deux ans. En période de crise, les violences tant intérieures qu’extérieures se déchaînent. La dépression nous guette, la rage nous enflamme.

Le contexte de la crise sanitaire actuelle est horrible. Tout le monde sermonne tout le monde, tout le monde surveille tout le monde, tout le monde déteste tout le monde. J’exagère à peine. Quoi qu’il en soit, notre société est profondément divisée et malade, dans tous les sens du terme. 

La crise sanitaire est de toute évidence horrible aussi pour les victimes de la maladie qui contamine et tue. J’ai des doutes sur les chiffres qui circulent, j’ai le sentiment que les membres du gouvernement nous bernent en partie et qu’ils nous manipulent sans vergogne. Mais, premièrement, je ne dispose, à titre personnel, d’aucune preuve démontrant de façon flagrante le fond d’un mensonge. Deuxièmement, je me refuse à salir la mémoire de ceux qui ont souffert dans leur chair du covid ou de ceux qui en sont morts. Troisièmement, je suis fatigué de me battre sur un terrain où je sais avoir perdu d’avance.

Quand la rage brûle

Avant d’avoir retrouvé une certaine sérénité, il y a environ un mois de cela, la colère me tuait dans l’âme en m’écrasant toujours plus violemment. Une rage folle brûlait en moi. Je criais à l’injustice contre toutes les mesures de restrictions liées au covid sans savoir quels mots utiliser. Je crachais ma haine. Je haïssais. J’en suis même venu à souhaiter du mal à ceux que je jugeais responsables de cette situation. Et que je sache, Berset et consorts n’en ont pas été émus. Ma colère n’a rien cassé, rien changé. Elle n’a rien bouleversé, sinon moi-même. La violence qui était en moi n’a réellement blessé que moi. 

Pas plus tard que cette semaine, j’ai retrouvé cette même violence qui m’envahissait chez un couple de connaissances. De braves personnes, des grands travailleurs. Ils ne feraient pas de mal à une mouche.

Et pourtant, ces connaissances portaient une telle tristesse en eux. Une rage si sanguinaire et mordante. Ils ne sont pas vaccinés contre le covid et se sentent, à raison, exclus de tout. Ils ont manifesté à Berne, et ont été maltraités. Ils brûlent de colère. La violence en eux est légitime et même compréhensible, il n’en demeure pas moins que cette violence les détruit. Ils sont dépressifs, abattus.

Sans compter que le mari, aussi profondément bon qu’il est en tant que personne, en est venu à perdre totalement les pédales dans la discussion. «Les policiers, c’est la Gestapo, et nous, nous sommes comme les Juifs!» Et d’ajouter: «à quand l’étoile jaune pour les non-vaccinés, comme nous?» Pour continuer sur des «il faudrait aller leur foutre une bombe dans ce putain de Palais Fédéral!» ou «la Suisse, une démocratie?! Une dictature, oui!» En finissant par réagir aux résultats électoraux de dimanche dernier sur le «Non à la Loi Covid» en affirmant qu’ils avaient été truqués.

Je suis en désaccord avec les propos de cet homme, mais je ne le blâme pas personnellement. Sa colère le pousse à dire ce qu’il ne pense sans doute pas au fond de lui, surtout pour ce qui est du parallèle avec la Shoah, qui demeure à mon sens dans l’espace sacré de l’incomparable et de l’intouchable. J’ai entendu cette colère, je l’ai comprise, sans en justifier l’expression.

Quelles conséquences de la colère?

Cet homme et ce qu’il dit n’est pas de l’ordre de l’exception. Tant et tant d’hommes et de femmes, par tout le pays, des confins des Grisons à l’arc lémanique, se sentent trahis, exclus, manipulés. Quel est le résultat de telles réactions de colère et de haine?

Premièrement, certains partisans malveillants des mesures covid s’en servent pour réduire les opposants aux mesures, vaccin et pass à des imbéciles, complotistes, antisémites. Ce qu’ils ne sont pas en réalité, pour leur immense majorité.

Deuxièmement, ces propos laissent à penser que la société est réellement divisée entre deux camps qui se préparent à la guerre. Dans la caricature d’un camp selon l’autre, il y aurait les pro-vax, pro-pass, de lâches collabos qui seraient soit de mèche avec le Conseil Fédéral soit totalement naïfs; eux-mêmes qui passeraient leur temps à dénoncer les restaurateurs qui ne contrôlent pas les pass sanitaires et eux-mêmes qui songent follement à cesser de prendre en charge dans les hôpitaux ces cons qui ne sont pas vaccinés et qui ensuite tombent malades.

Il y aurait de l’autre côté, ces crétins de complotistes anti-vax, qui n’auraient rien compris à la crise actuelle, à cause desquels le virus continuerait à se propager, ces irresponsables, égoïstes, quasiment assassins. De toute évidence, ces deux camps, pour autant qu’ils ne soient que deux, ne sont de loin pas la caricature que pourrait percevoir une pensée simpliste.

Entre les partisans et les opposants aux mesures, chacun avec ses torts et avec ses raisons légitimes, il y a surtout une grande troisième partie du peuple suisse, où se mêlent des vaccinés et des non-vaccinés, qui ne savent plus trop que penser, qui sont las de cette situation, tristes de voir leurs familles et groupes d’amis se diviser, et qui voudraient revenir à ce que l’on appelle aujourd’hui la «vie normale». Ces gens-là sont en principe, de ce que j’ai pu observer, mal à l’aise avec le principe du pass sanitaire mais ne savent pas s’il est un code en faveur du salut ou de la discrimination.

Troisièment, pour revenir aux conséquences de la colère de ceux qui s’opposent aux mesures covid, ils subissent une violence intérieure. Ils en sont victimes. Cette violence les ronge et leur fait perdre parfois la raison. En somme, ils se sentent mal.

Quelle solution?

Y a-t-il un remède à ce malheur? Y a-t-il une solution? Peut-être qu’on mette fin à ces mesures. Assurément les opposants en seraient soulagés, et ils retrouveraient une existence plus correcte, loin de l’exclusion et du désespoir. Il reste qu’il demeurerait en eux une confiance brisée envers les institutions. De toute manière, on constate bien, impuissant, malgré les manif’, actes de résistance, ou révolte, que le Conseil Fédéral suit sa ligne, prend les mesures qu’il juge bonnes ou du moins utiles, et ne se laisse pas émouvoir par la rage de ceux qui s’opposent à ses décisions depuis mars 2020.

Alors, quelle réelle solution? Certains diront qu’il ne faut pas céder, ne pas utiliser le pass et continuer à manifester. Leur attitude est déterminée et louable. Pour autant qu’ils puissent avoir la force de préserver leur sérénité intérieure. Si ce n’est pas le cas, une réaction urgente s’impose, comme ce fut le cas pour moi il y a un mois, comme ce devrait être le cas pour le couple rencontré cette semaine: prendre soin de soi.

C’est ce que j’ai proposé à l’homme du couple: penser à sa vie, son travail, sa famille, guérir de la rage qui le rongeait en prenant ses distances, pour un temps, avec le militantisme et les obsessions liées à la crise sanitaire. Il m’a répondu, déjà plus calme, que si chacun commençait à s’occuper de soi, à ne plus crier sa colère publiquement, eh bien on ne ferait qu’accélérer le mouvement des mesures toujours plus restrictives et injustes. Sans doute n’a-t-il pas totalement tort.

Retrouver la liberté

Il demeure cependant que la colère n’amène que la colère, et que de la semence de haine, aussi légitime soit-elle, ne pousse qu’un arbre de haine, de violence et de division. La priorité absolue de tout citoyen qui subit aujourd’hui la colère en lui, est de retrouver la sérénité. Ce n’est pas facile, mais nécessaire. Un homme en colère n’a pas les mêmes capacités de discernement qu’un homme serein.

Pour retrouver la sérénité, il faut commencer par retrouver sa liberté intérieure. On m’interdit ceci, on m’interdit cela. Soit. Mais ma liberté profonde dépend-elle des lois de mon pays? Autrement dit, cette réflexion pourrait se rapprocher de la question philosophique: comment être libre en dictature? La liberté dépend des lois du pays où nous vivons, de notre profession et de notre situation financière, certes. Lorsqu’il s’agit en revanche de liberté intérieure, autrement dit, de liberté de conscience, rien, pas même la prison, ne peut l’entraver. La conscience humaine est inviolable, elle est propre à chacun. On peut me condamner aux travaux forcés, sans que je change ou renie intérieurement ma croyance. Il convient donc de se dire que malgré tout, nous restons libres. 

Pour retrouver la sérénité, se sachant libre, il faut se poser la question de l’effet de la colère. En être libre, puis-je tolérer d’être rongé par une colère qui est provoquée par des injonctions extérieures? Puis-je accepter de souffrir, d’être malheureux, de tout perdre à cause de ces mêmes injonctions? A quoi sert ma colère? A qui a-t-elle fait le plus de mal? A Monsieur Berset qui ne prend même plus de pincettes pour annoncer de nouvelles restrictions, ou à moi-même?

En hommes et femmes libres et sereins, nous pourrons bien plus qu’en se sentant emprisonnés et malheureux. La violence est à bannir, la force du témoignage à retrouver. Un témoignage qui clame le désaccord avec les mesures, sans se laisser pour autant abattre, sans tomber dans le piège de l’abattement. Vous pouvez tout faire, «mais vous n’aurez pas ma liberté de penser», chantait Pagny.  Etre heureux malgré les mesures, c’est possible, et le combat non-violent n’en sera que plus efficace.

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