Quand VW exploitait des esclaves dans l’Amazonie défrichée. Un Suisse était dans le coup

Publié le 10 juin 2022

Friedrich Brugger, ancien directeur de l’exploitation VW en Amazonie. Capture d’écran Das Erste.

Plusieurs médias germanophones (dont la «NZZ» et le «TAZ» et la TV Die Erste) rapportent le procès qui va s’ouvrir au Brésil. Dans les années 70, le groupe automobile qui était très puissant et s’entendait fort bien avec la junte au pouvoir, a décidé de vendre plus que des voitures: de la viande à exporter. Autre motivation: en investissant dans de tels projets, les impôts étaient fortement allégés. Les Allemands achetèrent donc une surface de 140’000 hectares de forêt tropicale en Amazonie, défrichée, provoquant d’immenses incendies qui semèrent l’alarme. En vain. Une immense exploitation bovine s’y étendit, sous la direction d’un Suisse, Friedrich Brügger (84 ans), paysan des Grisons, baroudeur, revenu aujourd’hui dans la ferme de son village d’enfance. Les accusations établies par une longue enquête brésilienne sont accablantes.

Les travailleurs en charge des milliers de bêtes, de l’abattage, de l’usine à viande, étaient recrutés auprès de la population locale, des Indiens pour la plupart: ils étaient tenus de rester sur place, logés dans des tentes, au travail 7 jours sur 7, 10 heures par jour, à peine payés. Ceux qui partaient, qui traînaient les pieds ou se regimbaient étaient punis, enfermés, battus par des agents de sécurité. La liste des sévices est longue, avec des soupçons d’assassinats et de viols. Et cela sous la direction du cow-boy Brügger, marié à une Brésilienne. Lui a gardé le meilleur souvenir de ce séjour entre 1974 et 1987 – lorsque l’exploitation fut abandonnée, faute de rentabilité. Recevant les journalistes du TAZ, tout sourire, il balaie les accusations, Blödsinn (sottise). Rien, vraiment rien à se reprocher. «Quand VW s’est lancé, on a vu comment faisaient les autres, comment ils exploitaient les travailleurs, et on a fait comme eux.» Il se dédouane en toute tranquillité. «Il y a un moment où la responsabilité de l’entreprise s’arrête. Quand des milliers d’hommes sont en tas, ça ne se passe pas toujours en douceur, et en plus au millieu de la forêt vierge!»

La direction de Volkswagen est confrontée depuis des lustres à ces agissements. Elle a commencé par tout réfuter. Depuis que des plaintes sont déposées, elle reste réservée, concède que ces faits ne correspondent pas aux «valeurs» de l’entreprise et se distance des déclarations de Brügger. Les hauts responsables actuels sont convoqués le 14 juin au Tribunal de Brasilia, où seront exigées des réparations aux victimes. Le dossier a été préparé par le professeur d’anthropologie, expert de l’esclavage, Ricardo Rezende Figueira, qui enquête ce dossier depuis des années. Aujourd’hui c’est la procureur Christiane Viera Noguera, spécialiste du droit du travail, qui le prend en mains (2’000 pages), elle a dirigé un groupe de six enquêteurs, vingt au début. 

Le correspondant de la NZZ au Brésil rappelle que lorsque VW a eu à rendre des comptes sur ses agissements sous le nazisme, le groupe a dû verser 4,4 milliards d’euros à 1,7 millions de travailleurs forcés. Aucun regret ne se manifeste aujourd’hui à la tête du groupe. La justice tranchera.

Et il ne reste là-bas, à la place de la forêt, qu’une immense broussaille. Déserte.


Revoir l’émission de la chaîne allemande Die Erste.

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