Pour ne froisser personne, la police change de formule

Publié le 27 janvier 2023

© Lena Ebener

Au revoir les «Madame» et «Monsieur», la police genevoise adopte un «Bonjour» neutre afin de s’adapter aux changements de la société. Ce point n’est qu’un aspect d’une évolution plus globale amorcée par l’institution.

La police ne peut plus dire «Bonjour Madame» ou «Bonjour Monsieur», c’était du moins le cas durant la cité des métiers qui s’est tenue à Genève du 22 au 27 novembre 2022, préférant un simple «Bonjour» pour chaque interlocuteur. Mais pourquoi renoncer aux formules de politesse usuelles? La police cantonale genevoise explique sa démarche. «Depuis quelques années déjà, la police s’est dotée de mesures de prévention et de sensibilisation notamment dans le cadre de la formation initiale et continue pour tous les nouveaux collaborateurs et collaboratrices. A ce titre, des interventions sont effectuées principalement avec l’aide de partenaires externes (DIALOGAI, 2ème observatoire, UMUS, etc) en lien avec certaines thématiques comme par exemple l’homophobie, la transidentité, le harcèlement de rue ou encore les personnes migrantes. De ce fait, nous appliquons certaines recommandations dans le cadre de nos activités de promotion.»

Il semble que le phénomène ne touche pas que Genève puisque des policiers rapportent des directives similaires dans le canton de Vaud, où une personne non-binaire aurait même demandé des excuses à la police cantonale pour un «Bonjour Madame» offensant et «mégeanrant».

La police surferait-elle sur la vague woke? 

Sur ce point, la réponse de l’institution est tout aussi fluide que les préoccupations dans l’air du temps – ni oui, ni non mais elle se sent vraiment concernée par les phénomènes de société. «Fort de plus de 2’000 collaborateurs et collaboratrices, le Corps de Police est, à son échelle, un échantillon significatif de la société et des mouvements qui la façonnent. Le Covid et le télétravail, le phénomène #metoo ou encore les questions environnementales sont autant de thèmes majeurs qui viennent s’immiscer, voire quelques fois interférer, dans une culture d’entreprise connue pour sa rigueur et sa discipline» constate le service des ressources humaines de la police, qui a mis sur pied un comité en charge des questions sur la Qualité de Vie au Travail (QVT) sur l’impulsion de son directeur des ressources humaines, suite à des réflexions après la Journée de Grève des femmes du 14 juin 2019. 

Une responsable QVT a été désignée, leur «Madame Inclusion et Diversité». Sur proposition de cette dernière, la direction de la police a récemment adopté un plan d’action qui aborde ces thématiques sur plusieurs axes intrinsèquement liés: la gestion du risque avec la lutte contre les discriminations et le harcèlement et la promotion de la différence.

La police manque-t-elle de diversité?

Vraisemblablement non. Le nombre de femmes a fortement augmenté, de sorte à tendre vers un meilleur équilibre des sexes. «La place de la femme dans la police est cependant un sujet beaucoup trop transversal pour ne l’aborder que sous quelques angles connus comme le temps partiel ou la maternité. De plus, reconnaître l’individu en tant que membre d’une catégorie spécifique (femme, senior, porteur de handicap, etc.) peut entraîner toute une série de stéréotypes dans lesquels il ne souhaite pas forcément s’identifier ou le réduire uniquement à ces caractéristiques personnelles» explique Joanna Matta, porte-parole de la police cantonale genevoise. «L’étiquette « inclusion et diversité » ne doit donc pas naître d’une liste de critères mesurables ou observables laissant présupposer qu’il reviendrait à classer chaque collaborateur ou collaboratrice dans une case prédéfinie pour se targuer de répondre aux critères de l’inclusion.»

Quant à la diversité des origines, elle est déjà présente depuis de nombreuses années au sein de la police cantonale genevoise. Mais selon ses représentants, il ne faut pas rester sur ces acquis. «La police de demain doit principalement suivre l’évolution démographique de la population genevoise. Les compétences relationnelles doivent également se développer en fonction de l’évolution des nouvelles générations à venir, notamment pour anticiper les besoins et s’adapter aux différentes tendances sociétales.»

La police doit-elle vraiment suivre toutes les tendances?

Si la police est soucieuse de ne pas froisser la population, est-ce qu’à l’inverse, la population se soucie de la santé de sa police? Les médias n’ont-ils pas tendance, parfois, à se concentrer sur le négatif à son sujet? Et cela a-t-il un impact sur le moral des troupes? Comme on peut l’imaginer et comme le confirme la porte-parole de la police cantonale genevoise Joanna Matta, «l’identité professionnelle est un marqueur très prononcé dans la police qui, lorsqu’il est corrélé à une actualité médiatique, a des impacts sur le climat institutionnel et le moral des troupes».

Le personnel de la police est très exposé et confronté quotidiennement aux regards du public mais il s’habitue difficilement à être décrié et jugé par le citoyen et les médias. «Les attitudes et propos tenus envers le personnel de la police sont plus souvent emprunts de critiques que de valorisation et de reconnaissance. A la police, on ressent un sentiment d’incompréhension et un jugement réducteur et hâtif» ajoute la communicante.

Néanmoins, les différentes affaires qui ont pu éclabousser la police récemment ne semblent pas avoir étiolé la confiance que la population lui porte. «Selon nos sondages, la police reste très respectée par la population genevoise. Une hausse de confiance a même été observée durant ces dernières années.» 

Alors pourquoi vouloir faire évoluer les mentalités? Les policiers ne sont-ils pas suffisamment mis sous pression pour qu’on leur évite encore de devoir se plier aux dernières tendances, alors que seule devrait compter la réalité du terrain plutôt que des tergiversations sociétales non vitales? Une mutation, pour être dans l’air du temps et plaire davantage à une infime minorité de la population, est-elle vraiment nécessaire? L’ouverture à la diversité n’a-t-elle pas des limites? 

Ce sont des questions que l’on retrouve également du côté de l’armée, car si le pas a déjà été franchi concernant les trans, l’intégration de personnes non-binaires pourrait se révéler plus compliquée, notamment pour déterminer dans quels dortoirs les intégrer. Le monde change, parfois vite, pourtant la stabilité ne saurait se hâter. Sauf que si une majorité d’entre nous attend de la stabilité de nos corps constitués, certains leur reprochent un conservatisme désuet. Impossible de plaire à tout le monde. Entre attentes d’une population «progressiste» et de moins en moins respectueuse des institutions, et valeurs traditionnelles d’une profession qui fait partie des piliers de la protection de la population, pour les représentants des forces de l’ordre, il y a de quoi en perdre une cartouche.



La réalité virtuelle pour lutter contre le harcèlement

Fin 2022, la police cantonale genevoise a adressé un communiqué de presse aux médias, largement relayé, au sujet du harcèlement en son sein. «En 2021, un sondage sur la question du harcèlement sexuel a été envoyé à tout le personnel de la police. Au travers de cette démarche, l’objectif était de faire un état des lieux de cette thématique au sein du corps afin de définir précisément sur quels axes les mesures de prévention devaient être déployées. Les résultats de ce sondage font le constat que l’institution, à l’instar de tous les environnements professionnels, n’est pas épargnée par le phénomène du harcèlement sexuel et que des programmes de sensibilisation, des formations sur-mesure et l’accompagnement des situations annoncées doivent être déclenchés pour traiter ce phénomène.» Ces résultats ont mené à des discussions, à la réalisation d’une campagne de sensibilisation, ainsi qu’au développement d’ateliers de mise en situation par le biais de la réalité virtuelle. 

La responsable QVT, Myriam Robert, apporte un éclairage sur la démarche. «Un volet de mesures a été déployé par l’Etat de Genève, qui a développé et mis à disposition un e-learning sur le thème: « Moi? Harceler?! Si on ne peut plus rigoler… » Cependant, l’employeur se doit de réaffirmer régulièrement sa tolérance zéro face à cette problématique, tant pour respecter la législation en vigueur, que pour protéger son personnel de toute forme de harcèlement au travail.» La police a souhaité miser sur une sensibilisation innovante, en partenariat avec la société REVERTO. Cette dernière a construit des formations en réalité virtuelle sur plusieurs thématiques, notamment le harcèlement sexuel ou moral et le sexisme au travail. La réalité immersive, dans la peau d’un témoin ou d’une victime, permet-elle de prendre conscience des comportements inopportuns? «Cela permet en tout cas d’ouvrir le débat face à des situations délicates en abordant la frontière entre l’humour, la séduction ou le harcèlement. Cette expérience permet de capter l’attention du collaborateur ou de la collaboratrice dans un minimum de temps» précise la responsable QVT.

La police a prévu de mettre sur pied une task force dont la mission sera d’organiser des sessions de sensibilisation pour ses cadres dans un premier temps, puis l’étendre à l’ensemble du personnel. La direction de la police a décidé de faire l’acquisition de 24 casques de réalité virtuelle. Après le harcèlement, d’autres thématiques pourraient être développées en réalité virtuelle.



 

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