Petit guide du sexe à Pompéi

Publié le 18 juillet 2020

La pose du «cheval érotique», fresque du lupanar de Pompéi. – © Wikimedia

La magnifique exposition parisienne consacrée à Pompéi (au Grand Palais, jusqu'au 27 septembre) est destinée à tous publics. Difficile dans ces conditions de mettre en valeur l’art pornographique romain qui constitue pourtant l’une des richesses du célèbre site archéologique.

Christian-Georges Schwentzel, professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine


Le sexe était omniprésent à Pompéi. Rares étaient les demeures qui ne possédaient pas leur peinture érotique, sans compter les nombreuses tavernes, les thermes publics ou encore les bordels, abondamment décorés d’images très explicites. Voici un petit catalogue des principales poses représentées. Attention, cette visite s’adresse à un public averti!

La pose du «cheval érotique»

« Cheval érotique », relief en marbre provenant de Pompéi. Musée archéologique, Naples. © Wikipedia

Commençons par quelques préliminaires. Pour les Romains, il n’y avait rien de mieux que quelques baisers suaves. Ils embrassaient fréquemment les prostituées sur la bouche.

Ensuite, l’une des poses les plus représentées est le « cheval érotique » ou equus eroticus, en latin. La femme chevauche l’homme confortablement étendu sous elle. Il existe plusieurs versions de cette pose: la femme est agenouillée ou bien accroupie, en équilibre sur ses jambes; ce qui facilite les mouvements de son bas-ventre.

Elle peut ainsi danser sur le sexe en érection qu’elle guide dans un mouvement pendulaire. Pour ne pas tomber en avant, elle prend parfois appui sur la tête de son partenaire. Autre variante: elle tourne le dos à l’homme et place ses mains sur ses genoux afin de bien conserver l’équilibre durant ses va-et-vient.

Cunnilingus

Cunnilingus, fresque des thermes suburbains de Pompéi. © Wikipedia

Le cunnilingus était considéré comme dégradant s’il était pratiqué par un homme important. «Lèche-vagin» était d’ailleurs, à l’époque, l’une des pires insultes pour un citoyen romain. Certaines riches Romaines se faisaient lécher par leurs esclaves, comme le raconte le poète latin Martial (Epigrammes IX), sans doute à l’insu de leurs maris, ou une fois devenues veuves.

Sur une mosaïque des thermes de la Trinacrie, à Ostie, le port de Rome, on peut lire une bien étonnante inscription latine: statio cunnulingiorum; c’est-à-dire «le coin des lécheurs de vagins». S’agissait-il d’une expression humoristique seulement destinée à faire rire les clients, ou bien désignait-elle très sérieusement la pièce où des prostitués vendaient à des femmes les services de leur langue?

Fellation

Fellation, fresque des thermes suburbains, Pompéi. © Wikipedia

«Une épouse légitime et née libre n’avait pas à pratiquer la fellation», rappelle l’historienne Virginie Girod dans son livre sur la sexualité des Romaines.

Pour ce type de plaisir, les maîtres exploitaient leurs esclaves, filles ou garçons. La fellatrice comme le fellateur appartenaient à une condition sociale inférieure à leur partenaire, selon les codes de l’époque.

Les pauvres, voire les esclaves eux-mêmes, devaient se contenter des «louves», c’est-à-dire des prostituées qui œuvraient dans les lupanars et les tavernes. Des graffiti, laissés sur les murs de ces lieux de prostitution, témoignent du succès de certaines «suceuses» ou, au contraire, de l’insatisfaction de clients s’estimant mal servis. «Sabina, tu fais des fellations, mais tu ne les fais pas bien», se plaint un homme déçu. Les graffitis nous renseignent aussi sur les tarifs particulièrement bas de ces prestations considérées comme banales: 2 as (c’est-à-dire deux pièces de bronze seulement) pour une fellation rapide dans l’arrière-boutique d’une taverne. Le même prix qu’un repas pris sur le pouce! Sans doute l’équivalent aujourd’hui de 6 ou 8 euros.

Levrette et sodomie

Pompeii Casa del Ristorante. © Wikipedia

Une relation plus longue était bien sûr plus chère. Il fallait louer une petite chambre, parfois une minuscule cellule ne disposant que d’un matelas posé sur une couche en briques.

Les fresques de Pompéi ne permettent pas toujours de bien voir si le client pénètre le vagin ou l’anus de sa partenaire. Levrette ou sodomie? En général, le coït vaginal était pratiqué dans le cadre conjugal, le but du mariage étant de faire des enfants. Les prostituées, elles, devaient privilégier la sodomie. Elles évitaient ainsi de tomber enceintes et de se retrouver indisponibles pendant de longs mois.

Les fresques pompéiennes nous offrent de nombreuses variantes de ces coïts. L’homme à genoux pénètre la femme à quatre pattes devant lui. D’une main ferme, il maintient la croupe ou le dos de sa partenaire. Il lève un bras pour manifester son plaisir. La femme peut être passive ou active, bougeant les fesses pour guider le coït.

Sur une peinture, un jeune homme debout pénètre une femme allongée sur le dos, les jambes en l’air. Notez que, cette fois, c’est elle qui paraît éprouver un certain plaisir, si l’on en croit son bras droit relevé.

Une pornographie prophylactique et humoristique

Le terme «pornographie» est d’origine grecque. Il est composé de graphein («écrire» ou «dessiner») et de porné-, «prostituée». D’un point de vue étymologique, est pornographique la représentation d’esclaves sexuels ou de prostitués des deux sexes, en action, ou soumis à des pénétrations. Exactement ce que représentent de nombreuses fresques de Pompéi.

Comme l’ont souligné quelques historiens, ces scènes jouaient un rôle prophylactique. Il s’agissait de provoquer chez le spectateur un rire ressenti comme bénéfique et susceptible d’écarter le malheur.

Dans les vestiaires des thermes dits «suburbains» (car ils se trouvent au sud de la ville), les peintures pouvaient aussi servir de point de repère. Le client gardait facilement en tête le type de coït figuré à l’endroit où il avait déposé ses vêtements. Une pornographie mnémotechnique en quelque sorte.

Mais l’art servait aussi à l’expression de la morale sexuelle du moment. En matière de sexe, les Romains distinguaient le licite et l’illicite. La sexualité était liée à des règles très strictes qui imposaient des comportements déterminés par le statut social de chaque individu.

Le citoyen romain dominant devait jouer un rôle perçu comme viril, sans quoi il était condamné par ses pairs. Les rapports sexuels impliquaient des relations de pouvoir entre dominants (citoyens romains, parfois riches maîtresses de maison) et dominés (esclaves, prostitués des deux sexes), même si l’opposition entre passivité et activité n’est pas pertinente. En effet, une prostituée, femme dominée par excellence, pouvait se montrer très active physiquement, notamment lorsqu’elle chevauchait son client.

Une scène de triolisme visible dans les thermes suburbains pourrait revêtir une signification morale. On voit un homme sodomisé par un autre homme, alors qu’il est lui-même en train de pénétrer une femme à quatre pattes devant lui. Peut-être s’agit-il de l’épouse, surprise en flagrant délit d’adultère par son mari qui se venge ainsi en sodomisant l’amant de sa femme?

Triolisme, fresque des thermes suburbains, Pompéi. © Wikipedia

Interpréter les fresques de Pompéi comme des représentations d’une sexualité épanouie et sans complexe serait un contresens. On n’y trouve pas l’éloge de l’amour libre mais des pratiques dictées par une morale sexuelle contraignante.

Le plaisir partagé entre deux amants consentants n’est guère mis à l’honneur. L’art érotique vante surtout la satisfaction, vue comme légitime, d’individus dominants qui exploitent les jouets sexuels vivants, mis à leur disposition par la prostitution et l’esclavage.

Toutes ces fresques n’en demeurent pas moins fascinantes, à la fois d’un point de vue esthétique et comme autant de témoignages du passé. Elles inspirent encore le présent, comme l’a montré, en 2013, une étonnante exposition au Contemporary Art Museum de Casoria, pas très loin des ruines de Pompéi.


Christian-Georges Schwentzel a publié « Le Nombril d’Aphrodite, une histoire érotique de l’Antiquité », aux éditions Payot.

Exposition consacrée à Pompéi, Grand Palais, Paris, jusqu’au 27 septembre 2020

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original

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