Offensive pour le journalisme d’investigation

Publié le 8 octobre 2021
Le site d’information helvétique «Gotham City» a récemment été victime d’un piratage informatique. Il a fait appel aux services de Qurium, une ONG suédoise spécialisée dans la résolution des cyberattaques touchant les médias. A travers le monde, un réseau d’organisations similaires, notamment financées par l’Open Society Foundations de George Soros, soutient le développement du journalisme d’investigation.

Début septembre 2021, le site internet du média en ligne helvétique Gotham City, spécialisé dans les enquêtes sur la criminalité économique, a été victime d’une violente attaque informatique. Plus précisément d’une DDoS – Distributed Denial of Service attack, ou «attaque par déni de service» en français – qui vise à rendre inaccessible un serveur par l’envoi de multiples requêtes jusqu’à le saturer. 

Les noms de domaines français et suisse de Gotham City, ainsi que le site web personnel de François Pilet, co-fondateur du média, ont été visés par cette attaque. Au plus fort du piratage informatique, entre le 10 et le 11 septembre 2021, ces sites ont été rendus inopérants par quelque 100 millions de fausses demandes émanant de «bots» informatiques, qu’il est possible de louer sur le Darkweb.

Des poursuites à répétition

Depuis sa création en 2017, à mesure que son audience augmente, Gotham City est aussi confronté à un nombre croissant de menaces juridiques. En 2020, le média en ligne a fait face à cinq procès visant à empêcher ses publications. Dans le contexte de ces poursuites, Gotham City a reçu l’aide de l’organisation britannique Media Defence, qui soutient juridiquement les journalistes et médias indépendants menacés dans l’exercice de leur profession.

Media Defence collabore notamment avec l’ONG suédoise Qurium Media Foundation, spécialisée depuis 2010 dans l’hébergement informatique et la lutte contre les cyberattaques. Début septembre, Gotham City a utilisé les services de cette dernière pour juguler le piratage dont il était victime. Fait notable, il s’agissait de la première intervention en Suisse de Qurium, qui opère habituellement «dans les pays ayant un régime oppressif», souligne Ester Eriksson, directrice générale de l’ONG. Celle-ci a été en mesure stopper la cyberattaque touchant Gotham City et de retracer son origine. «Tout ce que je peux dire, c’est qu’il s’agissait d’un individu dont le nom a été transmis aux autorités judiciaires helvétiques». 

Une nébuleuse financée par Soros

Media Defence et Qurium font partie d’une nébuleuse d’organisations internationales actives dans la défense des activistes et des journalistes d’investigation à travers le monde. Un grand nombre de ces ONG sont en partie financées par l’Open Society Foundations (OSF), le réseau de fondations chapeauté par le milliardaire américain George Soros. 

Media Defence, par exemple, est issue d’un programme de l’Open Society Initiative for Europe. Elle a reçu un soutien financier conséquent (830’000$ en 2016 et 700’000$ en 2018) de l’organisation de Soros. Interrogée au sujet de ce financement, Alinda Vermeer, CEO de Media Defence, assure que son organisation opère indépendamment de l’Open Society Foundations et de ses autres mécènes. «Nous soutenons les dossiers de tous les journalistes, citoyens-journalistes et médias indépendants qui ont des problèmes juridiques en raison de leur travail, quel que soit leur mode de financement». 

L’Open Society Foundations finance également une partie des activités de Qurium. Parmi ses autres sponsors, l’ONG suédoise compte aussi le Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor (DRL) du Département d’Etat américain. «Un bon nombre de médias que nous soutenons sont eux-mêmes financés par l’Open Society Foundations, qui dispose de programmes d’aide à la presse et au journalisme dans beaucoup de pays», informe Ester Eriksson. 

Des millions pour le journalisme

Rien qu’en 2020, l’organisation de George Soros disposait en effet d’un budget de 25,8 millions de dollars pour soutenir le journalisme «indépendant» à travers le monde. Aux Etats-Unis, le site internet new-yorkais ProPublica, ainsi que le Center for Public Integrity, une organisation de journalistes d’investigation créée en 1989 à Washington, bénéficient des largesses de Soros. 

Parmi ses bénéficiaires européens se trouvent notamment le site web d’investigation français Disclose (80’000$ en 2019), l’ONG Media Development Foundation basée en Géorgie (24’900$ en 2019) ou encore l’Institute of Mass Information, une ONG de défense des droits des journalistes basée à Kiev en Ukraine (75’000$ en 2019). En Suisse, l’Open Society Foundations a notamment financé l’ONG Campax (50’000$ en 2019). Active dans l’organisation de campagnes «progressistes» sur les «questions importantes de notre temps», Campax a aussi lancé en 2018 la plateforme en ligne SwissLeaks, dont l’ambition est de protéger les lanceurs d’alerte et de les aider à diffuser leurs révélations. 

Une philanthropie controversée

Selon l’ancien chef du mouvement UKIP Nigel Farage, George Soros aurait aussi été à l’origine d’une enquête européenne sur l’éventuel financement russe de la campagne du Brexit et les révélations des Paradise Papers en 2017. En effet, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) à l’origine de la publication des données du cabinet d’avocats Appleby, est en partie financé par l’Open Society Foundations.

Depuis quelques années, la figure controversée de George Soros cristallise ainsi l’opinion publique. Certains voient en lui un champion de l’humanisme et du droit des minorités, quand d’autres le perçoivent comme un ennemi des souverainetés nationales, promoteur d’un agenda mondialiste caché. Quoi qu’on puisse en penser, l’Open Society Foundations s’inscrit indéniablement dans la lignée des grandes fondations philanthropiques américaines fondées, pour les plus connues d’entre elles (Rockefeller, Carnegie, Ford…), au début du XXe siècle. Comme elles, l’OSF promeut ce que Ludovic Tournès, professeur d’histoire internationale à l’université de Genève, appelle un «projet universaliste visant à construire une mondialité fortement teintée de couleurs américaines». 

Pour ce faire, selon le chercheur, les fondations ont adopté dès le début du XXe siècle, «une stratégie consistant à favoriser l’émergence d’une élite internationale du savoir et du pouvoir afin de piloter rationnellement les sociétés contemporaines selon un triptyque que l’on pourrait résumer en trois mots: paix, démocratie, économie de marché. La réalisation de ce programme nécessitant la participation active des élites de l’ensemble des pays du monde, l’un des objectifs majeurs des fondations est d’assurer une libre circulation des hommes et des idées, afin de favoriser la synergie entre les producteurs de savoir et les décideurs politiques à l’échelle internationale.» 

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