Mines d’or: l’enfer ou l’espoir

Publié le 22 juin 2018
C’est devenu un réflexe: les belles âmes tiers-mondistes maudissent les multinationales qui exploitent les mines en Afrique et en Amérique latine. Non sans raisons! On assiste en effet au pillage du Congo et d’autres pays. Mais comment donc les pays pauvres peuvent-ils tirer parti des richesses de leur sous-sol? Le cas de la Colombie est intéressant. On y connaît un véritable fléau: les mines illégales, d’or en particulier (80 % de la production se fait au noir!). Des chercheurs venus aussi du Brésil et du Venezuela s’installent sur les rivières et dans les montagnes, appuyés par des bandes armées de tout poil, empoisonnent les cours d’eau, sèment le chaos dans les villages. Les sociétés, locales ou étrangères, qui obtiennent des concessions, sont en revanche soumises à la loi. Que certaines la violent, c’est certain. Mais d’autres veulent assumer leurs responsabilités civiques et sociales.

Pourquoi? Parce que la pression internationale est de plus en plus forte. Parce qu’ne mauvaise image dans l’opinion publique européenne et nord-américaine, cela finit par amener des ennuis. La multinationale Glencore en a fait l’expérience. Les mauvais traitement de ses travailleurs et ses atteintes à l’environnement ont été maintes fois dénoncés. L’ONG Public Eye a déposé une plainte pénale devant le Ministère public fédéral helvétique contre cette société établie à Zoug. Pour «esclavage» des mineurs au Congo. A chaque assemblée d’actionnaires, des critiques s’élèvent.

La multinationale canadienne Continental Gold nous a donné la possibilité d’aller voir sur place l’un de ses plus grands chantiers, autour du village de Buritica. A une centaine de kilomètres de Medellin, près de trois heures de route précaire à travers les montagnes.

Les Espagnols y cherchaient déjà de l’or. Ils torturèrent un cacique indien qui taisait ses secrets: il a sa statue sur la place, devant l’exil, nu, vêtu d’un pagne… doré. Le maire, paysan modeste, raconte ce qui s’est passé ces dernières années.

Humberto Antonio Castaño. © 2018 Bon pour la tête / Jacques Pilet

Humberto Antonio Castaño a la voix douce, le ton modeste. «Depuis une dizaine d’années, la rumeur s’est répandue qu’il était facile de trouver de l’or ici. Des gens sont venus de partout et ont commencé à creuser, à trouver quelques pépites. Nous avions 5000 habitants. Soudain, il y en a 15’000. Il y avait des hommes armés partout. Nous n’avions aucune prostituée, et il s’est ouvert treize bordels. Des gens étaient chassés de chez eux car il était plus rentable pour les propriétaires de les louer aux nouveaux venus. Des milliers de motos. Il ne nous restait même pas assez d’eau potable… » 

«Depuis une dizaine d’années, la rumeur s’est répandue qu’il était facile de trouver de l’or ici.» 
© 2018 Bon pour la tête / Jacques Pilet 

Le petit maire est alors allé à Bogota pour demander de l’aide. Avec le soutien, il est vrai, de la grande mine de Continental Gold. «Ce n’était pas facile d’être reçu et entendu. Et puis la corruption est un fléau dans ce pays.» Castaño ne porte pas les politiciens dans son cœur. Néanmoins, il est arrivé à ses fins. Une vaste opération policière a été déclenchée, les chercheurs illégaux chassés ou intégrés dans l’entreprise légale. Le calme est revenu aujourd’hui. Mais ce fut houleux. Les bandes armées ont aussi des appuis politiques et ont maintenu longtemps l’agitation au nom de la lutte contre «les prédateurs étrangers». Plusieurs organisations ont dénoncé un «accaparement des terres» et des «expulsions illégales». Sans évoquer le casse-tête de l’exploitation sauvage du minerai.

8,4 grammes d’or par tonne

La Continental Gold met le paquet pour se faire bien voir. Elle finance plusieurs structures locales, organise des cours de perfectionnement professionnels et se targue de bien traiter les mineurs, nourris, logés et soignés gratuitement. Elle montre fièrement les images de jeunes femmes ingénieurs, une première dans ce métier. L’entreprise compte un millier d’emplois directs et 6500 indirects. Elle paie une redevance à l’Etat dont il s’avère cependant difficile d’évaluer le montant tant que l’exploitation n’a pas commencé.

De profond tunnels sont creusés dans la montagne pour préparer l’extraction du minerai. Il contient en moyenne 8,4 grammes d’or par tonne. Il est prévu une production de 9 tonnes en 2020 et jusqu’à 14 tonnes par année. Plus deux ou trois fois plus d’argent. La compagnie assure que l’extraction des métaux précieux se fera selon les technologies les plus modernes et les plus propres. Il faudra retourner sur place pour s’en assurer.

De profonds tunnels sont creusés dans la montagne pour préparer l’extraction du minerai.
© 2018 Bon pour la tête / Jacques Pilet 

Le bout du tunnel, vraiment?

S’enfoncer dans les entrailles de la terre est une expérience forte. L’obscurité, les lueurs des lampes de tête, les coups de projecteurs, les machines hurlantes qui enfoncent leurs piques dans la roche… Il faut pour cela se soumettre à toutes sortes de mesures de sécurité. On s’accroche au coup une plaque d’identification dont on laisse une copie à l’entrée: comme au service militaire. Les mineurs travaillent en trois fois huit heures, mais beaucoup préfèrent concentrer leurs congés pour pouvoir rentrer dans leurs familles. Un monde dur, certes, mais rien de comparable avec l’«esclavage» des mines africaines. 

Dans la salle de repos et de réunions, au centre du village, on voit nombre de jeunes gens penchés sur leurs ordinateurs. Ils se forment à de vrais métiers. Ils savent pourquoi. Dans quinze à vingt ans, les réserves épuisées à cet endroit, la compagnie se retirera. Il leur faudra trouver du travail ailleurs, avec de réelles compétences. 

Maudire à la fois le pillage illégal et dévastateur et l’exploitation par des sociétés internationales, c’est un peu court. Ce pays a droit à accéder à ses richesses. Le défi déborde les à-priori de gauche comme ceux de droite. Le libéralisme à tout crin peut être ravageur pour l’environnement comme pour les populations. Mais que faire? Laisser cette tâche à l’Etat? Il n’a ni les moyens technologiques ni les moyens financiers pour de tels investissements et n’a guère fait ses preuves dans le domaine. Imiter le Venezuela qui a nationalisé l’exploitation du pétrole qui a tourné au désastre?

Recourir aux multinationales paraît bien plus raisonnable. A condition d’exercer sur elles une pression incessante afin de s’assurer qu’elles assument leurs responsabilités. C’est ce que tente de faire la Colombie. Qui a grand besoin à cet égard du soutien et de la vigilance des Européens. 

Les mineurs en plein travail. © 2018 Bon pour la tête / Jacques Pilet 


Précédemment dans Bon pour la tête

Série 1/4 Leçon de démocratie d’un pays qui court après la paix – Jacques Pilet

Série 2/4 Plus compliqué d’acheter des cigarettes à Medellin que de la coke à Lausanne – Jacques Pilet

Série 3/4 L’épopée du barrage inondé – Jacques Pilet

Leçon de démocratie d’un pays qui court après la paix – Jacques Pilet

Les indigènes à la marge du processus de paix – Yves Magat

Série L’autre poudre blanche – Vincent Dubuis et Johanna Castellanos

Visite du Pape François en Colombie: une ferveur sans réflexion – Johanna Castellanos

Nounou Magdalena: 100 ans de sollicitude – Doménica Canchano Warthon

La Colombie, muy caliente – Luc Debraine

«Mariage à trois» en Colombie» – Anna Lietti

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