Les Suisses vivent plus longtemps et ce n’est pas grâce aux coûts de la santé

Publié le 5 juillet 2024
Les politiciens et les lobbies de la santé affirment souvent que la forte hausse des primes d'assurance maladie et les coûts élevés de la santé ont aussi une énorme utilité: grâce à ces dépenses, les Suisses vivraient plus longtemps. L'espérance de vie battrait des records. Entrons dans le détails des statistiques.

Urs P. Gasche, article publié sur Infosperber le 4 juillet 2024, traduit par BPLT


Les Suisses ont, il est vrai, la deuxième espérance de vie moyenne la plus élevée au monde, juste derrière le Japon: 85,4 ans pour les femmes et 81,6 ans pour les hommes. La Corée du Sud se classe troisième, l’Allemagne au 20ème rang.

En ce qui concerne l’espérance de vie à l’âge de 60 ans, la Suisse occupe la cinquième place après le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et Singapour. L’Allemagne se situe au 18ème rang. Classement de haut en bas:

Dans les pays industrialisés, l’espérance de vie élevée n’a pas grand-chose à voir avec les coûts de la santé

C’est une erreur de croire que l’espérance de vie élevée en Suisse est due aux coûts de la santé extrêmement élevés. Les nombreux médecins, hôpitaux et médicaments de qualité ne sont qu’un facteur secondaire pour expliquer la hausse de l’espérance de vie. Les habitants du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie, de l’Espagne ou de l’Italie atteignent en moyenne un âge aussi avancé, mais dépensent nettement moins d’argent dans la santé. (voir tableau ci-dessous).

Les comparaisons internationales de l’OCDE doivent toujours être interprétées avec prudence. En ce qui concerne les dépenses obligatoires (en Suisse, l’assurance de base), les prestations couvertes ne sont pas les mêmes partout. En Suisse, les prestations couvertes par l’assurance de base sont complètes, mais ne couvrent pas les frais dentaires, contrairement à d’autres pays.

Les différences de coûts sont toutefois si importantes qu’elles devraient se retrouver dans les statistiques à l’avenir. 

Des facteurs déterminants pour l’espérance de vie

Les Suisses doivent leur bonne santé et leur espérance de vie élevée en premier lieu à d’autres facteurs qu’aux coûts et primes élevés :

  1. En pourcentage, il y a moins de personnes socialement et économiquement faibles en Suisse que dans d’autres pays. Les pays industrialisés les plus faibles socialement et économiquement ont une espérance de vie inférieure d’environ dix ans à celle des plus forts économiquement ;
  2. En Suisse, le pourcentage de personnes effectuant des travaux physiquement pénibles est moins élevé que dans d’autres pays ;
  3. En Suisse, il y a proportionnellement moins de personnes sédentaires (inactives physiquement) ;
  4. Il y a en Suisse moins de personnes en surpoids et diabétiques.

Aux Etats-Unis, le nombre élevé de toxicomanes joue un rôle supplémentaire. Il est en grande partie responsable de la stagnation de l’espérance de vie dans ce pays, malgré des coûts de santé extrêmement élevés et en constante augmentation. Elle était de 78,7 ans à la naissance en 2010 et de 77,5 ans en 2022.

Par rapport au Japon, le pays qui a l’espérance de vie à la naissance la plus élevée au monde, la Suisse est à la traîne principalement parce qu’elle compte, en pourcentage, deux fois plus de personnes en fort surpoids, deux fois plus de décès dus au tabagisme et un tiers de plus de personnes sédentaires qu’au Japon.

A l’inverse, l’Australie, la Norvège, l’Espagne et l’Italie se retrouvent derrière la Suisse dans le classement de l’espérance de vie, notamment parce que la proportion de personnes souffrant d’un surpoids important est de 18 à 32% plus élevée dans ces pays qu’en Suisse.

En ce qui concerne l’espérance de vie à la naissance, Singapour se situe au 5ème rang. Par rapport à la Suisse, on y trouve nettement plus de sédentaires et une consommation d’alcool beaucoup plus élevée. En revanche, la Suisse s’en sort mieux en matière de pollution de l’air.

Malgré toutes les faiblesses de ces classements et d’autres, les spécialistes de la santé publique s’accordent à dire que l’espérance de vie et la santé dans un pays industrialisé dépendent principalement de l’intensité et de la fréquence de l’activité physique, du nombre de fumeurs, de la consommation excessive d’alcool et de la proportion de personnes socialement et économiquement défavorisées dans le pays.

Si la politique de santé publique a pour objectif d’améliorer l’état de santé général de la population et d’augmenter l’espérance de vie moyenne, alors des milliards supplémentaires ne devraient pas être investis dans le système de santé, mais plutôt dans la lutte contre la pauvreté, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool, les particules fines et autres polluants dans l’air, ainsi que dans des incitations à l’activité physique.

Certaines choses comme l’interdiction totale de la publicité pour le tabac (y compris les cigarettes électroniques) ou la limitation de la vitesse à 30 km/h dans les villes (particules fines) seraient même gratuites.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet

Tchüss Switzerland?

Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment (...)

Corinne Bloch
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Ma caisse-maladie veut-elle la peau de mon pharmacien?

«Recevez vos médicaments sur ordonnance par la poste», me propose-t-on. Et mon pharmacien, que va-t-il devenir? S’il disparaît, les services qu’ils proposent disparaîtront avec lui. Mon seul avantage dans tout ça? Une carte cadeau Migros de trente francs et la possibilité de collecter des points cumulus.

Patrick Morier-Genoud

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani

Cachez ces mendiants que je ne saurais voir!

Après une phase que l’on dira «pédagogique», la Ville de Lausanne fait entrer en vigueur la nouvelle loi cantonale sur la mendicité. Celle-ci ne peut désormais avoir lieu que là où elle ne risque pas de déranger la bonne conscience des «braves gens».

Patrick Morier-Genoud

La Suisse ne dit pas non aux armes nucléaires

Hiroshima, qui commémorait le 6 août les 80 ans de la bombe atomique, appelle le monde à abandonner les armes nucléaires. Mais les Etats sont de moins en moins enclins à y renoncer.

Jacques Pilet

Quentin Mouron ressaisit le bruit du temps que nous vivons

Avec «La Fin de la tristesse», son onzième opus, le romancier-poète-essayiste en impose par sa formidable absorption des thèmes qui font mal en notre drôle d’époque (amours en vrille, violence sociale et domestique, confrontation des genres exacerbée, racisme latent et dérives fascisantes, méli-mélo des idéologies déconnectées, confusion mondialisée, etc.) et (...)

Jean-Louis Kuffer