Les filles et les WC unisexes

Publié le 28 mai 2021
Le Grand Conseil vaudois a accepté un postulat des Verts visant à permettre l’installation de toilettes non-genrées, notamment dans les restaurants où pour l’instant il est obligatoire de proposer des toilettes séparées pour les hommes et les femmes.

Les WC unisexes sont en marche. C’est ainsi. Aussi fatalement que les filles ont adopté les pantalons pour ne plus l’abandonner, les symboles masculins et féminins vont gentiment mais sûrement disparaître des portes des lieux d’aisance et laisser la place aux pictogrammes inclusifs – pantalon à gauche, robe à droite. Dans de nombreuses régions du monde, les toilettes sexuées sont déjà hors-la-loi. Le parlement vaudois vient ainsi d’accepter par une large majorité un postulat proposé par les Verts visant à encourager l’installation de toilettes unisexes, estimées plus inclusives pour les personnes intersexes et transgenres, tout autant que pour les accompagnants de handicapés, dans les lieux publics tels que les cafés et restaurants.

Au moment donc de dire adieu aux WC genrés, je suis prise d’une irrésistible nostalgie préventive pour les toilettes des filles. Et je supplie les décideurs ès toilettes de ne pas oublier les aspects non utilitaires de ces endroits ou souvent, la petite ou la grosse commission sont la dernière des préoccupations. Dans ma vie, aux toilettes: je me suis changée, je me suis maquillée, j’ai brossé mes dents, j’ai pleuré de chagrin, j’ai vomi, j’ai révisé, j’ai sorti ma feuille de triche, j’ai tenu des conseils de guerre avec des amies, j’ai débriefé au téléphone des rancarts en cours, j’ai consolé d’autres amies, j’ai fumé en cachette, j’ai quémandé des tampons hygiéniques, j’ai embrassé des garçons qui ne devaient pas être là, j’ai attendu que le temps passe, je me suis cachée.

«Laissez-nous ces lieux dénués de testostérone, de pipis sur la lunette, de drague hétéro lourde»

Des toilettes de filles, pour une fille, c’est un lieu où, imperceptiblement, inconsciemment, on se relâche, on baisse la garde, un pseudo-gynécée intermédiaire entre l’intimité et le monde extérieur. Bienvenue à touxtes celles et ceux qui se sentent femmes, se pensent femmes, se considèrent femmes, mais de grâce, laissez-nous ces lieux dénués de testostérone, de pipis sur la lunette, de drague hétéro lourde, de regards en coin. Laissez-nous des endroits entre-deux où être entre nous pour parler des Autres, laissez-nous ce salon où l’on cause, où l’on «papote» − terme que jamais les mâles hétéros cisgenres n’utilisent les concernant.

Certes, les toilettes unisexes ouvrent des perspectives ludiques et sympathiques de gais batifolages entre hétéros cisgenres, ce qu’on ne pouvait pas faire du temps où un garçon pénétrant dans les toilettes des filles se faisait virer manu militari. Mais les toilettes unisexes vont forcément aussi donner quelques idées aux mâles tripoteurs ravis de cette promiscuité facilement gagnée. C’est ainsi. Je ne sais pas si les hommes hétéros se réjouissent ou non des toilettes unisexes. Je m’en fiche. Je prêche pour ma paroisse. Moi aussi, je veux mon temps de parole, d’écoute, d’attention. Je suis féministe, inclusive, égalitaire, progressiste, mais je veux − aussi − mes toilettes pour filles.

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