«Lendemains incertains»: la fin pourra-t-elle jamais justifier les moyens?

Publié le 31 octobre 2018

Manifestations de 2015 contre le 3ème mandat de Pierre Nkurunziza. – © DR

La question ne semble plus titiller grand monde à notre époque. La faute peut-être au flot incessant d’images laides et privées de sens auquel nous sommes confrontés en permanence. Ce torrent de médiocrité, généré par la télévision et colporté ad nauseam par les réseaux sociaux jusqu’à corrompre le cinéma, paraissant à même d’anesthésier tout esprit critique chez le spectateur. Pourtant, cette question s’avère toujours aussi cruciale, pour ne pas dire plus que jamais. La vision de «Lendemains incertains» du Burundais Eddy Munyaneza m’en a encore une fois convaincu: malgré toute la bonne volonté du monde, peut-on réellement réaliser un film honnête en usant de procédés cinématographiques malhonnêtes?

En regardant la bande-annonce de Lendemains incertains, on s’attend à assister à un documentaire sur les émeutes de 2015 (et leur sanglante répression) qu’avait engendrées la volonté de Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat à la présidence du Burundi. En lisant les intertitres, notre cœur se sert rien qu’à imaginer la famille du malheureux réalisateur arrachée à son affection par la violence de l’État. Mais au final, que voit-on? Une pataude vidéo familiale, mal ficelée et pleurnicheuse, en complet porte-à-faux avec l’idée qu’on s’en était faite.

Le réalisateur burundais Eddy Munyaneza. © DR

Déjà, ça commence mal…

Dès la première séquence, le ton est donné. Le réalisateur y brasse en voix off tous les thèmes à la mode: situation politique explosive faute d’un manque évident de démocratie, fierté nationale, douleur de l’exil et refus de l’oubli. De quoi faire bicher le public blanc des festivals. Et pour que l’adhésion du spectateur soit complète, le tout est mâtiné d’autofiction. Hélas, celle-ci est bien plus proche d’une Instagram-story que de tout autre chose… En outre, pour tenter de mêler sa petite histoire à la grande, Eddy Munyaneza a systématiquement recours à des images maladroites et à des procédés rabâchés. Ainsi, il cadre en gros plan un index sur le point de presser la touche de suppression du clavier de son ordinateur portable pour matérialiser l’oubli. Ou encore, comme dans un clip, il filme en accéléré les passants circulant autour...

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