Le fracas des bombes et les débris du droit

Publié le 20 juin 2025
Nous voilà donc plongés dans ce qui, pour celles et ceux qui en sont spectateurs, pourrait être une bande dessinée à suspense. Pour les peuples touchés, il s’agit de l’horreur quotidienne d’une nouvelle grande guerre. Au fracas des bombes s’ajoute, partout dans le monde, celui de la propagande. Le droit international, lui, est encore bafoué.

Ainsi donc le chef de guerre israélien, après avoir envahi, occupé, massacré des populations dans son voisinage, veut en finir avec l’Iran. Et tente d’entraîner tout l’Occident dans l’aventure à hauts risques. 

Que le régime des mollahs soit détestable, certes. Il a le record mondial des condamnations à mort, juste devant l’Arabie saoudite. Le sort des femmes n’a rien à voir avec l’Afghanistan des effroyables talibans. Elles ont accès aux études et aux emplois. 37 % d’entre elles ont passé par l’université. Ce pays de grande culture est l’un des plus avancés du monde en technologie. Serait-ce pourquoi l’Occident est tenté de l’abattre? Oublie-t-on que cette nation héritière de la Perse, qui a tant apporté à notre civilisation, compte 90 millions d’habitants? Dix fois plus que son agresseur. Sur une étendue immense de 1,6 millions de km2, ce qui constitue un avantage stratégique indéniable face à un ennemi grand comme la Belgique.

La bombe nucléaire? On prétend depuis trente ans que Téhéran est sur le point de l’obtenir. Des négociations sont en cours depuis fort longtemps. En mars dernier, les services de renseignements américains et la CIA affirmaient que ce péril n’est plus d’actualité. 

Comme en Irak, en Afghanistan, en Lybie ou en Syrie…

Mais voilà qu’Israël déclenche la guerre. Pour renverser le régime. Comme le firent les Occidentaux en Irak, en Afghanistan, en Libye ou en Syrie avec les résultats que l’on sait. Personne ne peut croire que la chute des dirigeants en place ferait place à un gentil pouvoir pro-occidental et démocratique. Diverses factions ethniques et violentes apparaîtraient. Le chaos. Comme le dit cette Iranienne de France sur Tiktok: «Nous nous opposons au régime en place. Mais ce n’est pas à vous, Israéliens, Américains, Européens, à le faire par la violence, au prix de nos souffrances.» Les Iraniens de tous bords, quelle que soit l’issue des combats, voudront enfin faire entendre leur voix. Pas sûr que les nombreux opposants détenus par le régime applaudissent le premier candidat à sortir du bois: Reza Pahlavi, fils du Shah chassé en 1979, grand ami de Netanyahou, qui attend dans les palaces son accès au trône princier.

L’agression israélienne, dite «préventive», viole toutes les lois internationales. Gérard Araud, ex-ambassadeur de France en Israël, l’exprime en ces termes: «Les Européens, dans ce monde de fauves, de bêtes féroces, devraient être les premiers à dénoncer les violations du droit. Sinon nous vivrons dans la jungle. Nous avons vu ce que cela a produit en Irak, attaqué lui aussi au nom de la démocratie: un million de morts irakiens et un pays qui reste déstabilisé. Le droit? Nous l’avons oublié à Gaza, nous l’oublions en Iran.» Illustration grossière de ce mépris des règles élémentaires de l’humanité: la déclaration ahurissante du chancelier allemand Mertz. Pour lui, «Israël fait le sale boulot pour nous!» Il approuve donc, sourire aux lèvres, une violation du droit. Les propos hésitants des autres Européens face à un tel conflit qui commence ont pour effet que plus personne dans le monde ne nous prend au sérieux. Pour ne pas parler, par charité, du silence de la Suisse. Les grandes institutions internationales dont Genève est si fière sont en passe, à l’exception du CICR, de se transformer en coquilles vides. La rencontre de dernière minute organisée au bout du lac par quelques diplomates européens et des représentants iraniens fort isolés ne changera guère la donne. En attendant, nous restons accrochés comme des gamins dociles aux décisions sans cesse changeantes d’un Donald Trump égaré dans ses contradictions.

La propagande israélienne

Le pire, c’est que la fin de la notion même de droit international n’émeut pas grand monde. Nos Etats démocratiques s’apprêtent-ils à l’enterrer en douce? Beaucoup s’alignent sur les slogans israéliens répercutés partout à grand bruit. Selon quoi Netanyahou voudrait nous préserver d’un «nouvel Hitler», sauver notre belle démocratie de la tyrannie des mollahs. Propos presque amusant si l’on songe que le gouvernement israélien est aussi centré sur ses mollahs, ses extrémistes belliqueux, expansionnistes et ultrareligieux. 

Mais où conduit cette clique d’abord soucieuse de rester au pouvoir, de faire oublier tant d’autres forfaits et massacres? Ce qui frappe, c’est l’absence totale de vision politique. L’armée affirme sa puissance en bombardant l’Iran, en mettant la main sur le Liban, la Syrie, en poursuivant la colonisation de la Cisjordanie, en laissant pourrir et mourir Gaza. Mais sans savoir à quoi pourrait, un jour, ressembler la paix. Le mot lui-même est sortir du vocabulaire. 

Tant de Juifs de par le monde en ont la peur au ventre. Ils pressentent que l’obsession belliqueuse, tôt ou tard, prendra une tournure suicidaire.

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