Ce sport féminin dont les hommes raffolent

Publié le 6 août 2021

JO de Tokyo, mardi 3 août: les Suissesses Anouk Vergé-Dépré et Joana Heidrich se congratulent après leur qualification pour la demi-finale du tournoi de volleyball de plage. Une demi-finale qu’elles ont perdue jeudi 5 août contre les Américaines April Ross et Alix Klineman. – © Daniel Leal-Olivas, AFP

Pourquoi les hommes prennent-ils tellement de plaisir à regarder évoluer les sportives? Pourquoi des règlements imposent-ils aux femmes pratiquant un sport de compétition des tenues mettant en valeur les attributs de leur sexe? Aujourd’hui, de plus en plus d’athlètes revendiquent le droit de s’habiller comme elles veulent.

Il y a quelque chose de charmant à voir évoluer les athlètes féminines. Leurs longues jambes et leurs cuisses musclées, leurs fesses fermes bien moulées dans les quelques centimètres de tissus qui forment le bas de leur tenue − le haut, lui, laisse très souvent voir le nombril et un ventre musclé, ces corps en mouvement, ces poses, cette chair… «Charmant»? Appelons un chat un chat et disons plutôt «sexuel». Il y a quelque chose de sexuel à voir évoluer les athlètes féminines.

Le 25 juillet dernier, aux Jeux olympique 2021 de Tokyo, les gymnastes allemandes ont décidé de porter une combinaison rouge et blanche recouvrant les bras et les jambes au lieu du traditionnel justaucorps. Elisabeth Seitz, Sarah Voss, Pauline Schaefer-Betz et Kim Bu ont ainsi voulu lutter contre «l’hypersexualisation du corps des sportives», précise Paris Match. «Nous voulons montrer que chaque femme a le droit de choisir ce qu’elle veut porter», a déclaré Elisabeth Seitz, selon La Voix du Nord.

Une amende pour avoir joué en short plutôt qu’en bikini 

Une semaine plus tôt, lors du championnat d’Europe de handball plage, l’équipe féminine de Norvège avait joué contre l’Espagne en short plutôt qu’avec l’habituel bas de bikini. Dès le lendemain, la Fédération européenne de handball les punissait d’une amende de 150 euros par joueuse.

Après les Norvégiennes, ce sont les Française qui ont refusé le réglementaire bikini. Elles veulent désormais porter la tenue de leur choix. «On tourne, on saute et les gardiennes de buts écartent les jambes. Tu ne te sens pas forcément à l’aise dans un bikini, tu te sens un peu nue», a expliqué, selon Midi Libre, leur entraineuse Valérie Nicolas .

La tenue des joueuses de beach-volley, elle, a été adaptée en 2012, afin de respecter «les croyances culturelles et/ou religieuses» de certains pays souhaitant défendre leurs couleurs en compétitions internationales. En février de cette année, les Allemandes Karla Borger et Julia Sude avaient annoncé vouloir boycotter le premier tournoi de beach-volley féminin organisé au Qatar si elles étaient obligées de jouer en tee-shirts et pantalon long plutôt qu’en bikini.

Cela peut sembler paradoxal: d’un côté des sportives qui demandent à pouvoir se couvrir plus et de l’autre des sportives qui veulent pouvoir continuer à se dénuder. Mais cela ne l’est pas. Elles revendiquent simplement d’avoir le choix de leur tenue. Est-ce vraiment si extravagant?

L’alpinisme en jupe

A la fin du XIXe siècle, lorsqu’il devint petit à petit admis que les femmes pouvaient pratiquer le sport, leurs tenues sont pudiques. Les premières joueuses de tennis, par exemple, sont vêtues de longues robes. Comme celle de l’alpiniste britannique Lucy Walker en 1871, lorsqu’elle atteint le sommet du Cervin. 

Ce qui est certain, c’est que le monde sportif est dirigé par des hommes et que ce sont eux qui décident de la tenue des athlètes féminines. En fonction de ce qu’ils jugent convenable ou pas, utile ou non, notamment pour les audiences télévisées, pour satisfaire les téléspectateurs masculins. «Une étude réalisée durant les JO d’Athènes, en 2004, a montré que respectivement 20 et 17% des images diffusées lors des épreuves de beach-volley féminin étaient des plans serrés sur la poitrine ou le fessier des joueuses», affirme Women Sports.

Ce que veulent les sponsors…

De son côté, Sandy Montañola, maîtresse de conférences à l’Université Rennes-1 et spécialisée dans les questions de sport, de genre et de médias, analyse dans Ouest-France: «Il peut y avoir des avancées sur des questions d’égalité hommes-femmes, comme le nombre de femmes présentes aux JO, etc. Par contre, des éléments bougent très peu: le nombre de femmes en position de décision dans les instances, ainsi que dans les domaines économique et marketing. Donc, la question des tenues peut se poser en réunion, mais celle qui se pose ensuite, elle est financière, c’est celle des sponsors.»

Elle conclut: «Au-delà des enjeux économiques, on observe une réelle distinction entre les hommes et les femmes. Tant qu’on valorisera la musculature et la technicité chez les hommes et qu’on valorisera le physique des femmes et le fait d’être féminine, c’est comme si on maintenait une différence entre les deux. Comme si le sport pratiqué n’était pas le même. On a l’impression qu’il y a une crainte de décrire de la même façon les hommes et les femmes, que cela pose un problème. Le fait d’avoir des tenues différentes permet ainsi de commenter différemment un sport masculin d’un sport féminin…» 

Une question qui n’est pas morale mais politique

Nous avons la grande chance de vivre à une époque où ce genre de question se pose désormais de manière récurrente et ceci dans tous les domaines, n’en déplaise à celles et ceux qui voudraient que rien ne change dans les relations hommes/femmes, que rien ne bouge quant aux positions et aux rôles assignés aux genres.

Pour ce qui est des athlètes féminines, la question n’est pas morale mais politique: il ne s’agit pas de savoir s’il est bon ou mauvais de regarder leur corps avec désir – sexuel – mais de définir si oui ou non les femmes ont le droit de s’habiller et de se présenter comme elles le veulent, que ce soit à la ville ou lors de compétitions sportives, et même dans l’intimité. Nous n’avons pas fini d’en parler.

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