Lahore, mon amour

Publié le 21 avril 2023
Premier film pakistanais lancé au Festival de Cannes, «Joyland» de Saim Sadiq s'attaque avec intelligence au patriarcat à travers une famille où tout se dérègle lorsque le fils cadet déserte sa femme, séduit par un bel artiste trans. Une Queer Palm d'autant plus méritée que la réussite formelle est au rendez-vous.

Même sans faire partie de la communauté LGBT+, il faut reconnaître que depuis sa création en 2010, la Queer Palm cannoise, qui distingue le meilleure contribution sur ce thème à travers toutes les sections du festival, est devenue une référence. En 2022, un jury présidé par la réalisatrice française Catherine Corsini a choisi l'un des films les plus finauds en la matière, qui prouve que cette catégorie aussi peut s'adresser à tout un chacun. Premier long métrage de Saim Sadiq, un jeune cinéaste pakistanais de 31 ans, Joyland ne milite en effet pour rien d'autre que la reconnaissance d'une certaine complexité en matière d'identités et de désirs sexuels. Une complexité encore niée dans son pays d'obédience musulmane comme dans tant d'autres de par le monde. D'où un titre par antiphrase du plus bel effet!
Il arrive que tout paraisse «téléphoné» dans ce genre de film: le délicat coming-out, la résistance des gardiens de la tradition, la communauté d'exclus/semblables accueillante, la victoire de la tolérance. Rien de tel ici, dans un film qui vaut autant pour la découverte d'un pays très peu vu au cinéma, que pour cette thématique queer, abordée de manière originale. Au départ, il n'est même pas du tout question de ça.
Chacun et chacune à sa place
Dans une grande famille traditionnelle de Lahore dont la mère est décédée depuis quelque temps déjà, c'est le vieux père en chaise roulante qui règne en maître incontesté. Le fils aîné Saleem et son épouse Nucchi ont déjà quatre filles, à force d'espérer un (petit-)fils. Mais le cadet Haider (Ali Junejo) et sa femme Mumtaz (Rasti Farooq) n'ont toujours pas d'enfants. Pire, lui étant sans emploi, c'est elle qui gagne leur vie dans un salon de beauté. Et puis un jour un ami, qui dirige un théâtre «érotique», propose un job à Haider:...

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