La Suisse confie des milliards de l’AVS à une banque américaine

Publié le 31 janvier 2025
Jusqu’à récemment, la banque dépositaire de nos fonds AVS était l’UBS. Désormais, et pour la première fois, cette fonction a été confiée à la State Street Corporation de Boston. Les Etats-Unis pourraient dès lors, s’ils le souhaitaient, bloquer l'ensemble de nos avoirs. Un risque bien réel.

Marco Diener, article publié sur Infosperber le 25 janvier 2025 , traduit par Bon Pour La Tête


Compenswiss, un établissement de droit public appartenant à la Confédération, gère les avoirs de l’AVS, de l’AI et des APG – actuellement plus de 40 milliards de francs. Jusqu’à présent, la banque dépositaire était l’UBS. Désormais, et pour la première fois, cette fonction a été confiée à une banque étrangère: la State Street Bank International à Munich, soit une filiale de la State Street Corporation de Boston. C’est ce que nous apprend le magazine des consommateurs «Saldo» (barrière de paiement) dans sa dernière édition.

De quoi inquiéter le conseiller national UDC zurichois Thomas Matter, cité par «Saldo», désireux de savoir si le Conseil fédéral trouve «opportun» qu’une banque américaine fasse office de banque de dépôt. Après tout, ne s’agit-il pas de la «sécurité de la fortune du peuple»?

Des risques réels de confiscation des avoirs suisses

Le Conseil fédéral a choisi la facilité. Il a plus ou moins recopié le site web de Compenswiss: «La banque dépositaire remplit un rôle purement administratif». Elle calcule les rendements et surveille les transactions. De son côté, Compenswiss parle d’économies «considérables», mais ne donne aucun chiffre.

«Saldo», en revanche, met en garde: «Ce changement pourrait avoir de graves conséquences en ce qui concerne l’accès aux 40 milliards de francs. Dans le cas, par exemple, où les Etats-Unis, pour une raison ou une autre, imposaient des sanctions à la Suisse et décidaient de geler ou confisquer des avoirs suisses».

Ce ne serait pas la première fois. Selon les données du ministère américain des Finances, près de 10’000 Etats, entreprises et particuliers dans le monde étaient sanctionnés par les Etats-Unis en 2021. La Suisse pourrait également être concernée à l’avenir. En effet, la Confédération a déclaré sans valeur des obligations Credit Suisse d’une valeur de 16 milliards de francs. Des plaintes en grand nombre sont en suspens dans le monde entier. Y compris aux États-Unis.

Si un tribunal devait arriver à la conclusion que la Suisse est tenue de verser des dommages et intérêts et que les biens de la Confédération aux Etats-Unis doivent être saisis, cela serait radical. Car la State Street Corporation et toutes ses filiales seraient contraintes de se conformer aux sanctions. Selon «Saldo», elles ne pourraient alors plus exécuter de commandes de Compenswiss. En d’autres termes, l’argent serait bloqué.

«Pas d’examen détaillé» de la part du Contrôle fédéral des finances

Le Contrôle fédéral des finances (CDF) avait déjà suggéré un changement de banque de dépôt il y a six ans. Sans préciser toutefois s’il s’agissait d’une banque suisse ou étrangère. Aujourd’hui, ses responsables ne semblent plus très à l’aise. Selon leur déclaration au magazine «Saldo», il semblerait que le CDF n’a pas «examiné en détail les conséquences de ce changement». Pour Compenswiss, il est en revanche «hautement improbable» que les 40 milliards ou une partie de ceux-ci puissent être confisqués.

Compenswiss est un établissement de droit public. Il appartient à la Confédération et est placé sous la surveillance du Conseil fédéral mais n’en est pas moins indépendant. Certes, le Conseil fédéral est compétent pour l’approbation du rapport d’activité et l’élection des membres du conseil d’administration. Il ne peut toutefois pas émettre de directives, pas plus qu’il n’a son mot à dire sur le choix de la banque dépositaire. Sa seule influence réside dès lors dans la possibilité de révoquer des membres du conseil d’administration. Voilà qui est inquiétant.

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