«La Reprise» de Milo Rau à Vidy bouscule tous les codes

Publié le 1 juin 2018
«Le théâtre ne doit pas seulement refléter le monde, il doit le changer». L’auteur de cette phrase et metteur-en-scène bernois Milo Rau fait un passage éclair au bord du lac avec sa dernière production. Pour trois soirs seulement «La Reprise» est un spectacle d’une puissance à faire exploser un volcan et qui se donne ce soir encore.

Une Suisse pas si lisse

Régulièrement invité à Vidy, Milo Rau est l’un des auteurs de théâtre les plus controversés de nos temps et des plus efficaces. Récemment nommé à la tête du Théâtre national de Gand en Belgique, il appartient à cette génération de jeunes quadragénaires qui détruisent l’image d’une Suisse qui ne produirait que du lisse et du bien-pensant.
Car il y a une violence inouïe dans son propos, mais jamais de gratuité, comme si le cinglant était le seul moyen de faire bouger les choses. Depuis 2007, son International Institute of Political Murder livre des spectacles qui ne laissent personne indifférent. «Compassion. L’histoire de la mitraillette» et «Les 120 journées de Sodome» illustraient des thèmes de société que personne d’autre n’ose prendre avec des pincettes.
L’homophobie

Milo Rau récidive avec «La Reprise: Histoire(s) du théâtre (I)», une dénonciation de l’homophobie avec des relents d’islamophobie. C’est l’histoire d’une nuit d'avril en 2012, lorsque Ihsane Jarfi a parlé à un groupe de jeunes hommes dans une polo grise à Liège à la sortie d’une fête d’anniversaire dans une boîte de nuit. Dix jours plus tard, son corps mutilé est retrouvé dans un terrain vague, défoncé par la haine excitée par le chômage, le désœuvrement et le désespoir d’une région dévastée par le retrait de l’industrie minière. Rau n’excuse rien, il essaie de comprendre.
Le phénomène curieux avec Milo Rau, c'est que l’insoutenable devient si familier, presque acceptable. Nous assistons à un va et vient entre la scène (le réel) et des images filmées (la fiction). Ce balancement produit un effet vertigineux lorsque Ihsane se fait démolir devant nos yeux. Mais il nous rapproche aussi d’un ensemble de comédiens dont les visages en gros plan livrent un jeu si subtile, si sous-enten...

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