La Chine, championne du monde de la transition énergétique

Publié le 11 octobre 2024

En 2023, la Chine a installé 62% de la puissance de tous les panneaux photovoltaïques sur Terre. © chinaimages / Dépôtphotos

Longtemps sommée de se mettre au diapason des efforts occidentaux vers la transition énergétique, la Chine apparaît désormais comme le champion toutes catégories. Voitures électriques, énergie éolienne, panneaux solaires: production, installation et innovations suivent à un rythme effréné. La réponse de l'Occident? Des droits de douanes augmentés, quand les efforts devraient être collectifs et concertés.

Urs P. Gasche, article publié sur Infosperber le 8 octobre 2024, traduit par Bon Pour La Tête


La Chine, autrefois considérée comme le plus grand pollueur climatique, a laissé le monde loin derrière elle en matière d’énergies renouvelables. Le journaliste et auteur David Wallace-Wells fait référence à des chiffres impressionnants qui illustrent la croissance rapide des capacités chinoises. «La Chine met en œuvre différentes technologies d’énergie verte à une vitesse étonnante, dépassant chaque année les prévisions des analystes», explique Wallace-Wells. Le monde en dehors de la Chine progresse également, mais beaucoup plus lentement.

En 2019, la Chine a installé environ un quart de la capacité solaire mondiale qui a été ajoutée cette année-là. En 2023, 62% de la capacité solaire mondiale installée l’a été par la Chine – c’est plus que tous les autres pays réunis.

© Intern. Agence de l’énergie AIE / Graphique : gusmo

Entre 2019 et 2023, la Chine a multiplié par huit sa capacité installée, alors que le reste du monde ne l’a même pas doublée.

Même situation pour l’énergie éolienne

Ensemble, tous les pays du G7 – les Etats-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon et la Grande-Bretagne – ont installé en 2023 à peine un quart des nouvelles installations que la Chine a inaugurées dans le même temps:

© AIE / Graphique: gusmo

Idem du côté des véhicules électriques

En 2023, la Chine a vendu 54% de tous les véhicules électriques produits dans le monde:

© graphique: Gusto

La Chine est aussi leader sur la production

Part de la production mondiale en 2023: Chine, 90% pour les cellules et les wafers solaires* et 60% pour les éoliennes:

© AIE / Graphique: gusmo

La balle est désormais dans le camp américain et européen

Le journaliste et spécialiste du climat David Wallace-Wells se souvient:

«Il y a quelques années encore, les diplomates occidentaux en charge du climat se plaignaient que les mesures climatiques prises dans les pays riches seraient réduites à néant si le président chinois Xi Jinping, dont le pays produit à lui seul près d’un tiers de toutes les émissions, ne jouait pas le jeu. Aujourd’hui encore, des personnes dans les pays riches affirment qu’il y a une disproportion entre les coûts locaux et les avantages globaux en matière d’investissements pour la protection du climat. Nous pourrions donc tranquillement ralentir le rythme».

En attendant, la Chine va beaucoup plus vite que les Etats-Unis et l’Europe. L’historien économique britannique Adam Tooze a déclaré sur Substack:

«Il est trompeur de parler d’une transition énergétique “globale”, car en réalité, il y a un pays qui domine toute la dynamique de la transition énergétique: la Chine».

Le président Xi avait proclamé en décembre 2020 l’objectif que la Chine produise au moins 1’200 gigawatts d’énergie renouvelable d’ici 2030. Le pays a atteint cet objectif récemment, en juillet 2024. La part de l’énergie solaire représentait alors 58%, celle de l’énergie éolienne 42%. C’est ce que montrent les chiffres de Bloomberg:

© National Energy Administration / Graphique: Bloomberg

Ces comparaisons doivent tenir compte du nombre d’habitants

Avec ses 1,4 milliard d’habitants, la Chine émet toujours presque trois fois plus de CO2 que les Etats-Unis et dépasse de loin les autres pays. Mais par habitant, la situation est différente, comme le suggèrent les chiffres de 2023:

Influence sur le bilan CO2

En remplaçant des centrales à charbon en partie obsolètes, la Chine économise en particulier beaucoup de CO2. Selon l’AIE, la Chine a évité 487 mégatonnes d’émissions de CO2 rien qu’en construisant de nouvelles éoliennes. A titre de comparaison, l’ensemble de l’énergie éolienne du reste du monde n’a permis d’économiser que 343 mégatonnes.

Dans le domaine des véhicules électriques également, la Chine a contribué à éviter 22 mégatonnes d’émissions, soit plus que les Etats-Unis (15 mégatonnes) ou l’UE (14 mégatonnes).

Après avoir poussé la Chine à agir, on lui impose des droits de douane

Il y a dix ans encore, les Etats-Unis et leurs alliés auraient réfléchi à la manière d’encourager la Chine – alors et aujourd’hui encore le plus grand émetteur de CO2 au monde – à se joindre à l’Occident dans la course à l’abandon du charbon, du pétrole et du gaz naturel. Mais aujourd’hui, les Etats-Unis imposent des droits de douane aux technologies vertes en provenance de Chine afin de protéger les industries américaines – un signe, selon Wallace-Wells, que les Etats-Unis ne perdent pas seulement la course sur les prix, mais aussi sur le rythme d’utilisation de l’énergie verte.

Le gouvernement américain a qualifié l’«Inflation Reduction Act» adopté par le Congrès de «plus grand investissement mondial jamais réalisé dans les technologies énergétiques propres».

Dans la course à cette technologie d’avenir, la Chine a toutefois une avance souveraine. Elle produit actuellement presque deux fois plus de panneaux solaires et de véhicules électriques que la demande mondiale. C’est pourquoi les prix se sont effondrés. Pour contrer ce dumping de surcapacité, les Etats-Unis et l’UE imposent des «droits de douane punitifs» élevés sur les modules solaires et les véhicules électriques chinois. Cette politique douanière renchérit l’énergie solaire et les véhicules électriques pour les consommateurs américains et européens, en dépit de leurs propres subventions massives.

En ce qui concerne les objectifs climatiques, David Wallace-Wells voit dans la taxation des produits électriques chinois un «danger inquiétant»: la Chine pourrait se retirer, réduire son soutien à l’industrie verte et laisser ainsi de nombreux producteurs faire faillite en Chine. Tout comme la Chine a sciemment fait éclater sa propre bulle immobilière. Le moteur du changement vert mondial pourrait s’enrayer encore davantage.

Ainsi, la transition énergétique est actuellement, dans une large mesure, un projet chinois. Même si des progrès sont réalisés au niveau mondial, le fossé entre la Chine et le reste du monde est désormais immense. L’avenir de la politique climatique mondiale dépendra en grande partie de la capacité de la Chine à rester un acteur de premier plan ou à se retirer.

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