L’IA pour résoudre le conflit israélo-palestinien?

Publié le 10 novembre 2023
Le magazine américain «Wired» raconte comment deux chercheurs sont en train de mettre sur pied, grâce à l’intelligence artificielle, une version virtuelle d’Israël et des territoires palestiniens. Comme dans un jeu vidéo de simulation, il s’agit de tester différents scénarios de résolution du conflit.

F. LeRon Shults et Justin Lane, deux Américains basés en Europe, ont été très officiellement engagés par l’ONU il y a quelques mois et développent le programme CulturePulse, un modèle d’intelligence artificielle destiné à analyser des solutions possibles au conflit israélo-palestinien. Pour ce faire, ils se sont bien sûr rendus sur le terrain. Et ils admettent bien volontiers que le projet paraît à la fois délirant et dérisoire, face à la violence qui se déchaîne dans la région notamment depuis les massacres du 7 octobre. «Franchement, si je devais formuler les choses de cette façon, je lèverais aussi les yeux au ciel», déclare Shults. «La clé est que le modèle n’est pas conçu pour résoudre la situation; il s’agit de comprendre, d’analyser et d’obtenir des informations sur la mise en œuvre des politiques et des stratégies de communication.»

Il s’agit de construire un «jumeau numérique du conflit», intégrant le maximum de données possibles sur la région, sur les politiques, les enjeux nationaux et internationaux et les individus. Pensez au jeu des Sims en version hyper-complexe, si cela vous parle. Il s’agit d’un modèle d’IA multi-agents, qui reproduit le plus fidèlement possible le réel. Chaque personne est aussi dupliquée et sont intégrées des données démographiques et sociologiques concernant les croyances religieuses, les valeurs morales, le caractère, la famille, la situation financière, le rapport aux discours de haine et au racisme… 

Après les attaques du 7 octobre et la diffusion massive de fausses informations, les deux chercheurs ont intégré à CulturePulse cette variable, car l’IA est aussi employée comme arme de guerre numérique pour tenter d’orienter les opinions.

«Ces modèles sont des sociétés artificielles entières, avec des milliers ou des millions d’agents adaptatifs intelligents artificiellement simulés qui sont mis en réseau les uns avec les autres, et ils sont conçus d’une manière qui est plus psychologiquement réaliste et plus sociologiquement réaliste», explique Shults. «En gros, vous disposez d’un laboratoire, d’un laboratoire artificiel, avec lequel vous pouvez jouer sur votre PC comme vous ne pourriez certainement jamais le faire de manière éthique dans le monde réel.»

Le modèle permet par exemple de visualiser comment la région réagirait à un changement brutal de son économie, des conditions écologiques, et ce avec une précision de 95% sur ses prédictions. 

L’IA permet en effet ce qui n’était pas envisageable auparavant: effectuer des essais, des simulations, sur des paramètres et des situations qui affectent directement la vie et la mort de millions d’individus. Cela ouvre une nouvelle ère de l’étude des relations internationales, à condition de rester prudent. Pour réussir, il convient impérativement d’obtenir des données de première main, en se rendant sur les terrains de guerre. Une démarche qui peut être évidemment compliquée. Et de résister à la tentation de se prendre pour le démiurge face à ces répliques du monde sur lesquelles il est possible d’agir à volonté.

Les modèles prédictifs et l’apprentissage automatique sont utilisés par l’ONU et les spécialistes depuis les années 1990. Lane et Shults espèrent que leur programme permettra à terme de repérer les causes profondes des conflits. Ces dernières années, ils ont ainsi étudié les affrontements au Sud Soudan, dans les Balkans, et se sont rendus sur l’île de Lesbos pour appliquer leurs recherches à la crise des réfugiés. L’ONU n’a pas souhaité commenter cette initiative, mais selon les chercheurs à l’origine de CulturePulse, c’est la preuve qu’il n’existe aucune solution «facile» au conflit israélo-palestinien désormais, il faut donc envisager toutes les pistes. A la guerre comme à la guerre…


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