Publié le 4 février 2022
Le Conseil fédéral met fin à la plupart des mesures qui limitent massivement nos libertés collectives et individuelles. Le vent a soudain tourné. Le moment arrive des comptes à rendre. Pour la valse des milliards, ce sera aisé, les calculettes surchauffent depuis belle lurette. Pour le bilan politique et l’examen des traces que laisseront ces deux années exceptionnelles, ce sera plus long et non sans résistances. Trois pouvoirs doivent pourtant être mis sur la sellette. Le politique, le médical et le médiatique.

Pas question ici d’ergoter sur ce qui était adéquat, proportionné ou pas, à tel ou tel moment. On est plus intelligent après qu’avant. C’est le processus ayant mené à un état de soumission unique dans l’histoire qui doit être analysé. Le gouvernement a tout décidé, tout communiqué, donnant le ton de la crise, mettant le Parlement hors-jeu, consultant certes les cantons mais imposant de fait sa ligne. Alors que dans d’autres pays, le passe sanitaire a été largement débattu dans les hémicycles, ici, il a été imposé sans égard à la portée psychologique de l’équivalent du bracelet électronique, d’ordinaire posé aux condamnés, mais utilisé là pour distinguer les Justes et les Rebelles. La date de validité de ce document officiel vient d’être tout simplement réduite, d’un clic administratif, sans le moindre fondement juridique, mettant des centaines de milliers de personnes dans l’embarras. Et cela juste avant que le même Conseil fédéral ne parle d’y renoncer! Allez comprendre… Mais il n’y a rien à comprendre, il s’agit d’obéir. Ou alors de garder l’œil ouvert. Au moment-même où le passe sanitaire serait sur la fin, l’OFSP verse quelques millions de plus à une boîte zurichoise pour améliorer l’application Swiss Covid, bide notoire, et le traçage par QR code. A de nouvelles fins?

Il faut dire que le mécontentement ou du moins l’incompréhension grandissent. Il est admis maintenant que la vaccination n’empêche pas la transmission d’un virus assagi, admis aussi que les hôpitaux sont loin d’être surchargés. Le passe n’a plus de sens, même le patron de l’OFSP vient de l’admettre, comme d’autres pontes patentés en France, à mots couverts. Le masque est aussi remis en question. Le conseiller fédéral Ueli Maurer a beau jeu de s’en amuser: «Je m’étonne que le virus ne sévisse qu’au-dessus de 1,20 mètre, déclare-t-il au Blick. Assis, on ne risque rien, mais il faut s’en protéger quand on traverse la pièce…» Plus sérieusement il s’inquiète, non sans raisons, de la division entre les gens alignés et réfractaires. «Il y a des voisins qui ne se disent même plus grüezi!» Quoi qu’il arrive, les fossés risquent de subsister.

Il incombera au monde politique de panser les plaies. Et pour cela d’accepter une dose d’autocritique. On en est loin à voir la mine du ministre Berset, glorifiant sa conduite à toutes les étapes. Trouver enfin les mots de l’apaisement, de l’ouverture aux opinions diverses. Et surtout, d’urgence… mettre fin à l’état d’urgence! Celui-ci a une tendance naturelle à se prolonger. Si ce n’est pas sur ce sujet ce sera sur un autre. Non, non et non. Retour, et vite, à la normalité démocratique.

Les scientifiques auront aussi à se poser des questions. La fameuse Task force, club coopté, sans légitimé juridique, réuni sans même laisser de procès-verbaux, opaque sur ses liens d’intérêt avec les pharmas, n’a pas apporté, non plus que l’OFSP, la moindre clarté sur les prix des vaccins et des tests, payés deux, trois fois plus cher qu’ailleurs. Ces gourous en blouse blanche, ravis de leur soudaine célébrité, nous ont asséné des mises en garde dans une formidable spirale alarmiste. On ne saurait leur reprocher leurs contradictions devant un phénomène si mal connu au début. Mais malgré la complexité des questions qui se posaient, leur ton était toujours celui des certitudes, des affirmations péremptoires. Ou alors celui des hypothèses mais seules et systématiquement les plus sombres. Or la science exige le sens du doute et la sérénité. C’est tout le contraire qui nous a été servi des milliers de fois. A force de ne brandir que le pire, à force de faire taire les scientifiques et les praticiens en désaccord, ces tout-sachants officiels ont vu fondre leur crédibilité. Il est grand temps qu’ils déblaient le terrain.

Les médias auront également à s’interroger sur leur rôle dans cette période que l’on peut dire disciplinaire. Une affaire vient de faire le buzz en Suisse alémanique. Le CEO de Ringier a reconnu avoir ordonné à ses rédactions de suivre la ligne gouvernementale. Le président et propriétaire du groupe s’est élégamment distancé de cette consigne. On apprend, en plus, que le patron a aussi écrit, en mars 2020, à tous les grands éditeurs et au patron de la SSR pour les enjoindre de relayer mot à mot les appels à la discipline (et au confinement) lancés par le Conseil fédéral, cela en concertation avec lui. Il serait absurde de faire une montagne de cette démarche irréfléchie. Car le pire est ailleurs. Pendant des mois, et aujourd’hui encore pour certains d’entre eux, la plupart des médias ont de leur propre chef, sans pression d’en haut, banni toute vision divergente, toute interrogation dérangeante, accrochés aux sempiternels porte-voix patentés, prêts à traiter de tous les noms les mal-pensants. Mais voilà que le système craque. Le débat s’entrouvre enfin. Les lendemains seront durs pour les journalistes s’ils ne font pas un peu de ménage dans leurs têtes. L’un des meilleurs, Michel Guillaume du Temps, lâche ceci sur Twitter: «Nous avons toujours relayé les scénarios les plus catastrophistes de la Task force scientifique, en occultant les autres parce qu’il nous fallait un titre qui fasse vendre. Triste!»

L’exercice de ces trois pouvoirs pose une question de fond à la société. Sur le sens même du mot liberté. Le journaliste Emmanuel Garessus amorce la réflexion dans Le Temps (chapeau!), à propos d’un essai de Mathieu Slama: Adieu la liberté. Essai sur la société disciplinaire (La Cité, 2022). 

Qu’il nous permette de le citer: «Dans la description de cette « longue nuit de la démocratie et de la liberté », l’Etat n’est pas le principal coupable. Il n’a fait, en réalité, que s’adapter à un climat. C’est un tuteur plutôt qu’un tyran.» Mathieu Slama s’appuie sur les thèses du philosophe italien Giorgio Agamben: «Une société qui vit dans un état d’urgence perpétuel ne peut pas être une société libre. Pourtant, que vaut une vie sans liberté? » 

Et Emmanuel Garessus d’ajouter: «Non seulement en France, mais aussi en Suisse, les mesures de restriction ont été saluées, soutenues, encouragées par une forte majorité de la population. Les actes de délation ont battu tous les records. Selon un syndicat de police, lors du premier confinement, 70% des appels reçus visaient des personnes ne respectant pas les règles du confinement». Comment justifier ce comportement? «Parce que nous avons considéré que l’Etat travaillait à notre bonheur et notre salut, nous avons accepté d’être enfermés, contrôlés, malmenés, discriminés», répond Mathieu Slama. Cette société disciplinaire, la nôtre, est définie par l’auteur comme «une société où la liberté de l’autre nous est devenue insupportable; une société délatrice, répressive et punitive où chaque geste et chaque parole doivent se conformer à un ordre moral totalitaire».

Que dire de plus sinon en appeler à la vigilance citoyenne? Les trois pouvoirs qui ont bouleversé nos vies pendant deux ans doivent maintenant rendre des comptes.

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