L’exclusion des pestiférés

Que les piqûres de Pfizer, Moderna & co limitent les dégâts, c’est établi. Mais il est non moins évident − voir l’expérience d’Israël et d’autres pays, voir les avis de spécialistes nullement complotistes − qu’elles n’empêchent pas forcément la transmission. Elles ne permettent nullement, comme espéré, «d’en finir avec le virus». Dès lors le passe sanitaire imposé pour l’accès aux restos, cinés, musées, etc. n’est… qu’un tour de passe-passe. D’autant plus paradoxal qu’il permet, passée l’entrée sous contrôle, d’enlever les masques et de ne plus garder les distances. Encore heureux que la méchante particule ait le bon goût de ne pas se glisser dans la foule des grands magasins et la bousculade des transports publics. A en croire l’OFSP, qui là s’alarme moins. Vertueuses distinctions…Aller au travail et consommer, oui, c’est sans freins, mais se distraire, non. Et partir en vacances, pire encore.
On peut «croire» ou «ne pas croire» au vaccin. C’est un débat sans fin. Même si la majorité de la population paraît acquise à cette mesure. Reste qu’un tiers des adultes, grosso modo, n’a pas fait le pas. Les traiter de tous les noms ne les convainc pas et les blesse. D’une blessure qui ne guérira pas de si tôt et provoque déjà des réactions de toutes sortes, aux plans familial, social et politique.
Au-delà de la polémique entre pro et anti-vax
La question, cette semaine, n’est pas là. Laissons au vestiaire la polémique entre pro et anti-vax. La généralisation du passe sanitaire pose d’autres problèmes qui ont de quoi préoccuper aussi bien les vaccinés que les réfractaires.
Le président de Gastrosuisse se fait insulter parce qu’il n’a pas encore tendu son bras à la seringue. Ce représentant des restaurateurs est indigné parce qu’il prévoit une baisse des chiffres d’affaires. Légitime inquiétude. Mais il en est une bien plus large, bien plus profonde. A quoi ressemble un monde où il faut exhiber son téléphone et une carte d’identité pour aller boire un café ou un coup à la pinte du coin? Si l’on songe qu’en outre les bistrots trop coulants pourront être carrément fermés, on imagine la valse des contrôles policiers… et des délations. Le ton est donné: «Et le patron, lui, prouvera-t-il qu’il est vacciné?», demandent déjà des internautes. En fait, tous les employeurs devront surveiller jour après jour l’état sanitaire de leurs salariés qui feront bien de se montrer dociles. Tout comme les étudiants à la porte de la plupart des auditoires.
L’obsession d’une maladie qui chez nous provoque très peu de décès nous rend fous. Mais il faut éviter la surcharge des hôpitaux, nous répète-t-on à longueur de journées. Fort bien, mais pourquoi dès lors plusieurs centaines de lits de soins intensifs ont-ils été fermés depuis le printemps dernier? Et les cliniques privées qui se sont dit prêtes à prendre le relais au tarif de base, on n’en parle plus? Leur personnel ne se dit pas «à bout» comme dans les établissements publics. Pourquoi des programmes intensifs de formation n’ont-ils pas été mis en place pour suppléer aux démissionnaires? Pourquoi les salaires de ces personnes dévouées n’ont-ils pas été drastiquement augmentés?
Cette prétendue surcharge est inquiétante. Au-delà de la crise actuelle. Qu’arriverait-il en cas de catastrophe, sanitaire, nucléaire ou naturelle, en cas d’hospitalisations par milliers et non par centaines? Et dire que de vastes hôpitaux militaires inutilisables prennent la poussière dans les sous-sols…
Tous les pays n’imposent pas le passe sanitaire
Deux autres arguments devraient faire mouche. D’abord, les autres pays imposent aussi le passe sanitaire. Oui, mais pas tous. Le Danemark et la Hollande, plusieurs régions d’Espagne, la Pologne, y renoncent et ne souffrent pas plus que nous. Et puis surgit la menace: sans cette mesure, nous devrons peut-être revenir aux confinements. Sauf que tous les Etats européens, y compris la zélée Allemagne, ont annoncé que cela est exclu des scénarios. D’autant plus que ces bouclages ravageurs n’ont guère fait la preuve de leur efficacité.
Mais dépassons les considérations pratiques. Calmons un instant les emportements et réfléchissons à la grande bascule de cette société qui, depuis dix-huit mois, accepte d’être sous contrôle. Où l’Etat dicte nos faits et gestes, nos décisions intimes, avec recours, au besoin, de la police. Où les individus sont classés entre «sages» d’une part, «suspects» d’autre part. Une «société à deux vitesses» comme l’a dit le conseiller fédéral Ueli Maurer, mis en minorité par ses collègues.
Les enjeux à long terme
Les outils de surveillance sont multiples, nombre d’entre eux inventés et utilisés en Chine. Les Européens les adoptent sans états d’âme, sans trop réfléchir aux enjeux à long terme. Le passe sanitaire, quoiqu’on dise pour le justifier, appartient à cet arsenal fort diversifié. Il n’est pas près de disparaître. Mais pourrait être recyclé à d’autres fins, en cas d’indiscipline, de comportement jugé néfaste à la collectivité. Toujours pour notre bien évidemment… comme disent tous les gouvernements fliqueurs du monde.
Quel philosophe, quel sage, quel homme ou quelle femme d’Etat d’envergure se lèvera pour dire «non, c’est assez, ce n’est pas ainsi que nous voulons vivre»?
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