Jean Baudrillard et l’architecture

Publié le 12 juillet 2024
Dans son livre qui vient de paraître «Baudrillard et le monstre (l’architecture)», Jean-Louis Violeau examine, à travers le cas de Jean Baudrillard, les fécondes interactions qui se sont tissées entre la philosophie, la sociologie et l'architecture contemporaine. Baudrillard ne s'est jamais défini comme un penseur ou un théoricien de l'architecture, néanmoins son intérêt s'est très tôt porté sur l'objet architectural et il a développé, dans la foulée du philosophe Henri Lefebvre, un vif intérêt pour l’urbanisme en général comme élément de la critique de la vie quotidienne.

Baudrillard montre une nette préférence en architecture pour ce qu’il a nommé les «monstres urbains» ou les «super-objets». «L’architecture ne construit plus, dans sa forme ambitieuse, que des monstres – en ce qu’ils ne témoignent pas de l’intégrité d’une ville, mais de sa désintégration, non de son organicité, mais de sa désorganisation», écrit-il. 
Monstres qui peuvent être le pompidolien Beaubourg ou les grands projets mitterrandiens, la Villette, l’Opéra Bastille, ou l’extraterrestre Bibliothèque Nationale de France, ou encore les tours jumelles du World Trade Center, le projet Biosphère II, le Guggenheim-logo de Bilbao et certaines architectures exemplaires de son ami Jean Nouvel. Architectures qui résistent à l’interprétation et semblent mener leur vie propre, comme détachées de leurs concepteurs, symptômes de crise molle et de désordre mou, hologrammes stupéfiant les touristes car monstres ils sont, et monstres il faut les laisser.
Sa décennie situationniste
Dans le n°1 de la revue Utopie, en mai 1967, Henri Lefebvre, dont Baudrillard est l’assistant, relève que la plaie du monde moderne est l’ennui. A la ville éternelle, Lefebvre oppose des villes éphémères et oppose aux centres inamovibles des centralités mouvantes. Baudrillard, quant à lui, postule que l’éphémère est sans doute la vérité de l’habitat du futur, que tout ce qui se consomme s’oppose à l’habiter qui est fondation et investissement. Et dans Utopie 2/3, en 1969, il affirme que la contestation est un bien de consommation comme un autre et que la répression moderne, devenue parfaite, se fait à présent au nom du jeu. Notre société s’appuie autant sur la consommation que sur sa dénonciation et la contestation artistique n’est plus qu’une modalité de la consommation. Nous n’avons plus de prise sur le rée...

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