Feux et sécheresses: quand les savoirs indigènes offrent des solutions concrètes

Publié le 29 juillet 2022

La mobilisation des savoirs aborigènes pourrait aider à réduire les feux de brousses dévastateurs en Australie. AFP

Dans le contexte climatique qui domine désormais en Australie – où les feux de brousse, les inondations et les épisodes de sécheresses sont de plus en plus nombreux –, les solutions à long terme se font attendre. Elles sont d’autant plus nécessaires que ces catastrophes climatiques coûtent des milliards en raison de la perte de productivité agricole et économique, de la vitalité environnementale et des dépenses liées à la santé mentale des citoyens.

Maryanne Macdonald, Edith Cowan University; Darren Garvey, Edith Cowan University; Eyal Gringart, Edith Cowan University et Ken Hayward, Edith Cowan University


Pour faire face à ces multiples menaces, il est temps d’écouter les populations indigènes qui possèdent une connaissance approfondie du pays et de ses terres grâce à leurs savoirs ancestraux.

Pendant des dizaines de milliers d’années, les populations autochtones ont fait face aux changements climatiques sur ce continent et ont réussi à appliquer leurs connaissances à la gestion des terres. Ces connaissances méritent d’être pleinement reconnues.

Dans cet objectif, nos récents travaux appellent les chercheurs australiens à reconnaître la valeur de ces savoirs et à les mobiliser pour trouver des moyens nouveaux et plus efficaces de combattre les problèmes environnementaux.

Susciter un sentiment de responsabilité environnementale

Une enquête indépendante publiée en 2020 sur l’état de la biodiversité, conduite par Graeme Samuel à la demande du ministère de l’Environnement, a ainsi révélé que le nombre de sites naturels en Australie déclinait de façon nette et inquiétante. L’étude préconise des stratégies à long terme, notamment celles qui « respectent et exploitent les connaissances des indigènes australiens afin de mieux informer sur la manière dont l’environnement est géré ».

[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Dans de nombreuses disciplines, nous enseignons déjà ces approches qui soulignent l’existence de liens inextricables entre les humains et leur environnement.

Ce mode de pensée peut susciter un sentiment de responsabilité environnementale qui pourrait conduire à de nouvelles approches vis-à-vis de problèmes tels que le changement climatique ou les catastrophes naturelles.

Des techniques aborigènes qui ont fait leurs preuves

Dans le Sud-Est de l’Australie, le changement climatique survenu au cours du siècle dernier a entraîné des conditions météorologiques qui augmentent la probabilité de feux de brousse.

Parallèlement, les pratiques non aborigènes de gestion des terres, notamment celles qui empêchent les techniques culturelles de brûlage dirigé, ont augmenté la quantité de matériel végétal inflammable, ce qui peut entraîner des feux de brousse plus intenses.

Il est pourtant prouvé que les techniques d’incendies aborigènes aident à gérer les forêts, à protéger la biodiversité et à prévenir les feux de brousse catastrophiques.

Les scientifiques ont également démontré comment la mise en œuvre des connaissances aborigènes en matière de feu peut réduire la destruction de l’environnement et les émissions de gaz à effet de serre. Le projet « West Arnhem Land Fire Abatement » conduit dans les territoires du Nord constitue à ce titre un bon exemple.

Sur la piste des oiseaux incendiaires

Des travaux scientifiques ont également souligné la précision des connaissances indigènes concernant le comportement des oiseaux quant à la propagation du feu ; des experts ont ainsi collaboré avec des « propriétaires traditionnels » dans l’objectif de réunir des preuves de ce comportement.

Les scientifiques ont pu constater que certaines espèces d’oiseaux propageaient délibérément des incendies en ramassant des branches enflammées et en les laissant tomber dans des zones non brûlées pour chasser leurs proies. La compréhension de ce phénomène a permis aux scientifiques de mieux concevoir la propagation des incendies contrôlés, et a éclairé la politique régionale de gestion des incendies.

Ces exemples de collaboration entre chercheurs et aborigènes ne se limitent pas à la gestion des incendies.

Dans l’Est de la Tasmanie, des éleveurs et des scientifiques travaillent aux côtés de la communauté aborigène dans le cadre d’une subvention gouvernementale de 5 milliards de dollars pour le Fonds contre les futures sècheresses.

Les détenteurs du savoir aborigène apportent leur expertise aux agriculteurs en matière de gestion des prairies et de résistance à la sécheresse, afin d’améliorer la pérennité des terres en s’appuyant sur une gestion régénératrice.

Un patrimoine mondial à préserver

Ignorer ces connaissances aborigènes ancestrales a un coût culturel, mis en évidence par la destruction des grottes de Juukan Gorge en mai 2020.

Cette perte d’un patrimoine mondial n’a pas seulement été catastrophique pour les propriétaires traditionnels autochtones : les anthropologues et les archéologues ont considéré l’incident comme une profanation et un préjudice pour les recherches futures sur l’histoire du site.

L’étude de Samuel Graeme a ainsi recommandé que le patrimoine culturel indigène soit mieux protégé par la loi. Cependant, le gouvernement d’Australie-Occidentale a récemment adopté une loi qui permet la destruction de sites appartenant à ce patrimoine culturel.

En encourageant la collaboration dans le domaine de la recherche, les chercheurs peuvent servir de modèles, appréciant et s’engageant auprès des approches et des connaissances indigènes. Ces approches peuvent être utilisées par la société dans son ensemble, y compris pour les décisions politiques concernant la gestion des terres.

Apprendre à respecter les cultures indigènes renforce nos potentiels sociaux, économiques et environnementaux. En travaillant avec les peuples autochtones, nous pourrions prolonger le temps qui nous est imparti sur cette planète tout en préservant les pratiques des plus anciennes populations humaines sur Terre.The Conversation


 

Maryanne Macdonald, Lecturer, Indigenous Education, Edith Cowan University; Darren Garvey, Senior Lecturer at Kurongkurl Katitjin, Edith Cowan University; Eyal Gringart, Senior Lecturer, School of Psychology and Social Science, Edith Cowan University et Ken Hayward, Lecturer at Kurongkurl Katitjin, Edith Cowan University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Sciences & Technologies

Réchauffement climatique: Bill, Greta et moi n’avons plus aussi peur

Alors que Bill Gates vient de publier un article rassurant sur le climat, Greta Thunberg se consacre désormais à la défense de Gaza. Même la science revoit à la baisse certains scénarios catastrophe et invite à plus de nuance. Analyse d’un repenti de l’alarmisme.

Pierre Gallaz
Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Politique

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
EconomieAccès libre

Stop au néolibéralisme libertarien!

Sur les traces de Jean Ziegler, le Suisse et ancien professeur de finance Marc Chesney publie un ouvrage qui dénonce le «capitalisme sauvage» et ses conséquences désastreuses sur la nature, le climat, les inégalités sociales et les conflits actuels. Il fustige les dirigeants sans scrupules des grandes banques et des (...)

Urs P. Gasche
PolitiqueAccès libre

Microsoft s’enrichit sur le dos des Palestiniens

Selon des révélations étayées par des sources issues de la multinationale américaine et des services secrets israéliens, un cloud spécial a été mis en place pour intercepter les communications de millions de Palestiniens. Des données qu’Israël utilise pour mener sa guerre de représailles ethniques dans la bande de Gaza et (...)

Bon pour la tête
Politique

La géopolitique en mode messianique

Fascinés par le grand jeu mené à Anchorage et Washington, nous avons quelque peu détourné nos regards du Moyen-Orient. Où les tragédies n’en finissent pas, à Gaza et dans le voisinage d’Israël. Où, malgré divers pourparlers, aucun sursis, aucun accord de paix ne sont en vue. Où un nouvel assaut (...)

Jacques Pilet
PolitiqueAccès libre

Pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas encore interdit TikTok?

L’an passé, le congrès américain a décidé que le réseau social devait être interdit s’il restait en mains chinoises, ceci afin d’éviter que les données des étatsuniens soient récupérées par Pekin. Il s’agissait prétendument d’une question de «sécurité nationale». Mais le président Trump a pour la troisième fois reporté l’interdiction, (...)

Urs P. Gasche
Politique

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet