Exister à l’ombre de sa sœur

Publié le 15 mars 2024
Récemment paru chez Campiche, le roman de Sonia Bächler intitulé «Mon Dieu, faites que je gagne» montre à travers un crescendo parfaitement maîtrisé ce que c'est que d'être la sœur d'une sportive d'élite sur laquelle se focalise sans cesse toute l'attention de la famille. Il décrit au passage la machine à broyer les destins que représente la compétition de haut niveau. L’auteure de cette autofiction force volontairement le trait avec le souci néanmoins de restituer le plus fidèlement possible la dérive d’une famille happée par le miroir aux alouettes de la réussite sportive. Entretien.

Sabine Dormond: C’est bientôt les JO, comptez-vous y assister? 
Sonia Bächler: Non, j’avais prévu d’aller à Paris cette année, mais on va repousser à l’année prochaine.
Aurait-on tendance à confondre bonheur et réussite au point d’attacher plus d’importance à la réussite qu’au bonheur?
C’est un résumé de mon livre. Sous couvert de bienveillance, on a tous en tête la réussite.
On entend souvent dire qu’il ne faut pas chercher la reconnaissance auprès des autres, mais savoir se la donner à soi-même. Cela vous parait-il réaliste? Peut-on se construire une identité indépendamment du regard que les autres portent sur nous?
Je pense qu’une part de soi dépend du regard des autres, dans l’enfance, ça compte énormément pour se construire et apprendre à se faire confiance. On a tous eu un prof qui nous a fait sentir qu’on est quelqu’un de bien et qui nous a donné des ailes. Avec un peu de maturité, on commence à mieux se connaitre, à se découvrir des centres d’intérêt et des dons, en fonction de nos échecs et de nos réussites. Mais même dans le couple et en amitié, on a besoin d’encouragements. L’identité est un puzzle, à chaque étape, on en découvre une nouvelle pièce en lien avec les rencontres qu’on peut faire.
Certaines compétitions sportives comme le foot semblent euphoriser des nations entières. Vous y croyez, vous, à ce bonheur par procuration?
Je me souviens avoir vu mon grand-père pleurer de joie en regardant les courses de ski. Tout le monde se réunissait autour de la table pour y assister. Moi, je me suis toujours sentie en décalage. Pareil pour les matchs de foot: j’y allais pour ne pas rester à l’écart, mais ça ne me procurait aucune émotion.
L’esprit de compétition nous pousse-t-il inéluctablement aux dérives que vous décrivez ou peut-on avoir un sain esprit de comp...

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