Dominique Eddé sur la guerre Israël-Hamas: «Le recours au « nous contre eux » signe fatalement le début de l’obscurantisme et de la cécité»

Publié le 3 novembre 2023
Le massacre commis par le Hamas le 7 octobre marque la fin d’un long processus de démembrement de la région, et signe la défaite de tous les acteurs concernés, estime l’essayiste, dans une tribune au «Monde» que nous reproduisons ici avec son autorisation. Selon elle, «il est temps pour chacun de nous de faire un immense effort si nous ne voulons pas que la barbarie triomphe à nos portes».

Dominique Eddé, écrivaine et essayiste libanaise. Tribune parue dans Le Monde le 1er novembre 2023

«La grande majorité des hommes ne saurait résister à un meurtre sans danger, permis, recommandé et partagé avec beaucoup d’autres», écrivait le Prix Nobel de littérature (1981) Elias Canetti [1905-1994] dans Masse et puissance (Gallimard, 1960). Cette phrase résume le tragique de la condition humaine. Elle nous renvoie au rôle décisif de la «petite minorité» restante quand vient l’heure de la meute et de la fusion. Elle nous met en garde contre les raisonnements tribaux, adaptés au confort de nos identités de naissance.
Que nous soyons Israéliens ou Palestiniens, Libanais, Syriens, juifs ou musulmans, chrétiens ou athées, Français ou Américains, nous ne nous méfierons jamais assez du recours au «nous contre eux», qui signe fatalement le début de l’obscurantisme et de la cécité.
Or l’emploi de ces trois mots enregistre à l’heure qu’il est des records terrifiants, d’un bord à l’autre de la planète. Et il se répand à une vitesse si foudroyante qu’il emporte les têtes, comme un ouragan des maisons.
Le carnage barbare du Hamas, le 7 octobre, n’a pas fait que des milliers de morts et de blessés civils israéliens, il a jeté une bombe dans les esprits et dans les cœurs, il a arrêté la pensée. Il a autorisé le déchaînement des passions contre les raisons et les preuves de l’histoire. Ce déchaînement peut se comprendre là où manquent les moyens de savoir, d’un côté comme de l’autre. Là où la douleur est écrasante. Il est inacceptable chez les puissants: là où se déclarent les guerres, là où se décident les chances de la paix.
Que s’est-il passé pour qu’un jeune homme qui, dans les années 1980, lançait des pierres pour se faire entendre d’une armée d’occupation toute-puissante soit ...

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