(Dé)croissance de la population mondiale: vers des lendemains qui chantent et qui déchantent

Publié le 16 juillet 2021
Vu mon âge, je n’assisterai certainement pas aux festivités qui marqueront notre entrée dans le XXIIème siècle. Mais, si l’on en croit certaines prévisions démographiques, 100'000 de nos concitoyens nés en l’an 2000 seraient encore en mesure de faire la bamboula le 31 décembre 2099. C’est que l’espérance de vie ne cesse d’augmenter: nous avons gagné 16 ans depuis 1950 et elle pourrait encore grimper d’une dizaine d’années d’ici la fin du siècle pour atteindre 96 ans pour les femmes et 94 pour les hommes.

Alors que les principales hypothèses d’évolution de la population en Suisse nous amènent jusqu’en 2070, au niveau mondial, il existe des projections jusqu’en 2100. Combien serons-nous alors sur Terre? 

Si les démographes de l’ONU tablent une population de quelque 10,9 milliards d’habitants (+3 milliards), l’Institute for Health, Metrics and Evaluation (IHME), un centre de recherche indépendant, attaché à l’Université de Washington a récemment publié dans la revue scientifique Lancet des chiffres fort différents. Selon l’IHME, après un pic à 9,7 milliards en 2064, il y aura décroissance, la population mondiale chutant à 8,8 milliards à la fin du siècle.

A l’exception de l’Afrique, cette décroissance nous concernera tous, mais plus particulièrement les pays asiatiques. Ainsi, la Chine perdrait près de la moitié de sa population, cette dernière se réduisant de 1,4 milliard à 732 millions d’habitants et la population de l’Inde baisserait de 300 millions d’habitants. 

Par contre, pour le continent africain, ce sera le boom! Sa population va quasiment tripler, de 1,2 milliard à 3,4 milliards d’habitants, et représentera 38% de la population mondiale contre 16% aujourd’hui. On y trouvera 5 des 10 pays les plus peuplés du monde (Nigéria, République du Congo, Ethiopie, Egypte et Tanzanie), totalisant à eux seuls plus de la moitié de la population du continent! 

Une population rapidement vieillissante…

Pour établir ses scénarios, l’IHME s’est notamment basé sur l’évolution de l’espérance de vie (progrès scientifiques et médicaux), l’accès croissant à l’éducation et à la contraception, ainsi que les changements en matière de taux de fécondité. 

Si d’un côté, cette décroissance serait bienvenue – vu la façon dont nous abusons et détruisons les ressources de notre planète – ça craint aussi, car parallèlement, la pyramide d’âge va prendre un sacré coup de vieux: de 10% actuellement, la part de la population mondiale âgée de plus de 65 ans passera à 25% en 2100.

En cause principalement: le taux de fécondité. Il s’agit d’un indice statistique permettant de mesurer la tendance d’une population à augmenter ou à diminuer. Pour renouveler sa population – donc, sans croissance, ni décroissance – ce taux devrait être de 2,1 enfants par femme.

Or, dans la plupart des pays, nous en sommes loin: priorité accordée à une vie professionnelle, accès facilité à la contraception et grossesses plus tardives ont eu un gros impact.  

Ainsi, au Japon, où le taux de fécondité s’est réduit à 1,5, plus du quart des habitants a dépassé 65 ans (record mondial) et si cette tendance se poursuit, la population de ce pays se réduira de moitié, passant de 128 à 60 millions d’habitants d’ici 2100.

Que la population vieillisse est une litote, mais les politiques semblent avoir sous-estimé la vitesse de ce phénomène. Ainsi, dans 9 pays européens, le pourcentage des plus de 65 ans dépasse déjà 22% alors qu’en Afrique, il n’est encore que de 5,7%. 

… entraînera de gros changements!

Une génération, c’est 25 ans. Cela signifie qu’à l’avenir, il sera toujours plus fréquent de voir coexister 4 à 5 générations, ce qui pour de très nombreuses familles – et pas seulement en Asie et en Amérique latine – constituera un gros défi.

En effet, dans les pays ne disposant pas ou peu de prestations sociales type AVS et  2ème pilier, ce sont très souvent les grands-parents qui s’occupent de leurs petits-enfants, leurs propres enfants travaillant tous deux. En échange, ils bénéficient d’un soutien (habitation commune et/ou aide matérielle) qui leur est indispensable.

Or, si les parents de ces grands-parents, âgés de 80 ans ou plus, sont encore en vie, qui les prendra matériellement en charge puisque seules 2 générations sur 5 seront actives professionnellement et à même – théoriquement – de générer un revenu?

Je dis «théoriquement» car le vieillissement, couplé à une automatisation croissante et au développement des moyens de faire appel à l’intelligence artificielle déploiera des effets aussi bien sur les besoins que sur l’emploi d’une population mondiale stagnante, voir en baisse.

Il ne faudrait pas tarder à réfléchir aux conséquences possibles de ces scénarios et à leur impact, notamment sur ce qui se dessine depuis quelques années déjà: une croissance exponentielle des coûts liés à la santé. 

«Gouverner, c’est prévoir…

…et ne rien prévoir, ce n’est pas gouverner, c’est courir à sa perte» écrivait au XIXème siècle Emile de Girardin, patron de presse et homme politique français. 

Les défis que ce vieillissement de la population entraîne sont nombreux et nos politiques, tous partis confondus, vont devoir puiser dans une ressource bien rare chez nombre d’entre eux: le courage!

Quelques constats devraient toutefois les aider:

– En un siècle, la population suisse a plus que doublé passant de 3,3 millions à plus de 8,5 millions; ces dernières années, surtout grâce au solde migratoire positif. 

– La population résidente vieillit: depuis l’an 2000, les plus de 65 ans sont passés de 15,4% à 18,7%, alors que les moins de 20 ans ont diminué de 23,1%  à 19,6%.

– Depuis une cinquantaine d’années, le taux de fécondité (1,52 aujourd’hui, en route vers 1,4) n’est plus suffisant pour permettre un renouvellement de notre population.

– Le rapport de dépendance des personnes âgées (nombre des «plus de 65 ans» par tranche de 100 personnes actives) passera de 31 en 2021 à plus de 50 en 2070.

– Se baser, comme le fait l’Office fédéral de la statistique, avec son scénario de référence, sur une population de 11,1 millions d’habitants en 2070 et un solde migratoire positif de 50’000 personnes par année est une hypothèse combattue.

Selon UBS, il nous manquera jusqu’à 225’000 actifs en 2030, voire même 450’000 en 2040. Et vu que dans tous les pays membres de l’Union européenne le taux de fécondité est inférieur à 2, il se pourrait bien que pour satisfaire aux besoins de nos entreprises – notamment dans le domaine de la santé – nous dépendions toujours plus d’une main d’œuvre africaine (taux moyen de fécondité de ce continent: 4,5).

A l’instar de la pyramide des âges dans le monde, celle de la Suisse va aussi rapidement s’élargir vers le haut, l’espérance résiduelle de vie à 65 ans étant prévue de passer à 27 ans pour les femmes et 25 ans pour les hommes (+ 4 ans environ).

Ainsi, les rares centenaires qui, dans les années 1950, faisaient souvent la une de journaux, seront 50’000 en 2050 et quelque 100’000 en 2100. 

Camille Brandt, conseiller d’état de Neuchâtel, complimente Elisa Morin de Colombier pour son entrée dans sa 100ème année. © Musée national suisse / ASL

Il va falloir se serrer la ceinture!

J’évoquais plus haut une des qualités requises des politiques pour s’atteler à ces défis: le courage. Mais ne nous leurrons pas: n’est pas Pascal Couchepin qui veut! Il était bien seul, il y a plus de 20 ans déjà, à évoquer la nécessité de relever l’âge de la retraite. Quant à ses successeurs, ils ne se poussent pas au portillon pour dire à leurs électeurs que sans changer radicalement les choses, on va droit dans le mur.

Soyons réalistes: à terme, il faudra soit relever l’âge de la retraite, soit réduire les prestations, soit augmenter les impôts (notamment la TVA), soit un mix de tout cela.

Comme l’écrit Avenir Suisse dans son étude sur le vieillissement: «dans les conditions-cadres légales actuelles… les rentes versées pourraient déjà dépasser les recettes (sans le rendement des placements) d’environ 5,5 milliards de francs en 2025, et même de 14 milliards de francs en 2035. D’ici là, l’AVS pourrait avoir accumulé… des dettes pour un montant de 73 milliards de francs».

Quant au 2ème pilier: «au taux de conversion actuel de 6,8% les retraités perçoivent aujourd’hui bien plus que ce qui leur reviendrait d’un point de vue mathématique. Compte tenu de la durée moyenne de perception des rentes et du taux d’intérêt technique de référence actuel de 2,75%, le taux de conversion «correct» devrait aujourd’hui être de 5,4%». 

En clair: les rentes versées actuellement sont de 20 à 25% trop élevées puisque chaque nouveau retraité est partiellement subventionné par les personnes actives.

Campagne de protestation du syndicat Unia et de la Grève féministe contre la réforme des retraites. © DR

Et moi? et moi? et moi?

Il nous faut repenser fondamentalement notre notion de travail comme «valeur suprême» et facteur d’identité. Croire que dans un monde toujours plus automatisé, il y aura tout le temps et partout du travail pour tous est illusoire. Il va donc falloir tôt ou tard «dé-coupler» travail et revenu.

Un exemple, pour en illustrer la nécessité: notre système de santé face aux besoins croissants d’une population vieillissante.  

Les dépenses liées à la santé dépassent déjà 800 francs par habitant et par mois. Elles dépasseront 1’000 francs par mois et habitant en 2030 et continueront à grimper, notamment à cause des coûts liés aux soins de longue durée (EMS et soins ambulatoires) pour de plus nombreuses personnes.

Si vivre plus longtemps sera donc «donné» à tous, disposer des moyens de vieillir harmonieusement et dans le meilleur état physique et mental possible, ne sera pas à la portée de toutes les bourses.  

Y réfléchir est d’autant plus urgent que depuis une vingtaine d’années, la science s’est attelée aux causes du vieillissement et que certains scientifiques projettent une durée de vie pouvant atteindre 120 ou 130 ans d’ici la fin du siècle. 

Fiction? Pas vraiment… Le Département américain de la défense vient d’annoncer pour 2022 le début d’essais cliniques d’une pilule à même de réduire préventivement les effets dégénératifs du vieillissement; une molécule sur laquelle il travaille depuis trois ans en collaboration avec l’entreprise Metro International Biotech.

Il ne me reste donc plus qu’à espérer que parallèlement, les législations sur le suicide assisté seront assouplies afin que chaque individu puisse librement disposer du droit de mourir dignement, avec ou sans l’aide de proches, quand il le souhaite et indépendamment de son état de santé. 

Après tout, pas tout le monde aura envie de vivre jusqu’à 125 ans et de fêter ses anniversaires avec ses enfants centenaires, ses petits-enfants de 75 ans, ses arrières petits-enfants proches de la retraite, etc. 

Comme le chantait Jacques Brel:

Mourir, cela n’est rien
Mourir, la belle affaire!
Mais vieillir, oh, oh vieillir


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