D’Odessa à Kharkiv, la culture comme rempart à la peur

Publié le 25 mars 2022
Les polyglottes et les médias qui traduisent les articles dans différentes langues le savent: chaque communauté linguistique, et jusqu’à chaque groupe d’appartenance, tend à communiquer selon des canaux d’information passablement cloisonnés. Pour certains, l’Ukraine n’apparaît que sous la forme de quartiers détruits...

Sophie Perrelet, Geneviève Piron, Jil Silberstein, auteurs de l’initiative «Russie-Ukraine Les voix de la société civile», le 13 mars 2022


De poussettes abandonnées par des femmes polonaises solidaires à la frontière entre les deux pays. Du flux effrayant des réfugiés. Mais sur place, en Ukraine, les gens s’étaient mobilisés depuis déjà longtemps. Ils s’attendaient au pire et disaient: «Nous, cela fait huit ans qu’on est en guerre; on se prépare; les hommes ont constitué des milices citoyennes; les femmes sont prêtes à prendre les postes de travail pour que les hommes puissent aller se battre.» Ce discours, on l’entendait déjà quand, en Occident et en Russie, on niait encore la possibilité d’une invasion.

Que se passe-t-il en Ukraine aujourd’hui au sein de la population? En attendant notre prochaine chronique basée sur des témoignages recueillis sur place, voici quelques exemples d’actes de résistance.

– En tous temps, dans les abris de différentes villes d’Ukraine, de jeunes virtuoses et musiciens professionnels jouent du violon ou chantent.

– A Kharkiv, les conservateurs du Musée des Beaux-Arts sauvent la collection de peinture russe de leur institution dont les fenêtres ont éclaté sous le souffle des explosions. «La peinture russe: c’est qu’elle est vraiment formidable! Il n’y a pas beaucoup de villes qui en possèdent une collection pareille!»

– Interrogé par Linor Goralik, le psychiatre et poète odessite Boris Khersonski constate les réactions de plusieurs groupes. Il y a ceux qui cherchent à partir, avant tout les femmes avec leurs enfants; ceux qui se portent volontaires pour les aider à fuir; ceux, assez rares, qui défendent les positions pro-russes, mais aussi – très nombreux – tous les hommes qui se mobilisent. «Je vois se consolider une plus grande cohésion. En grand spécialiste, Vladimir Poutine a réussi à unir la population ukrainienne et à consolider la société civile. Chaque coup qu’il nous porte renforce la cohésion des citoyens et enfonce un clou de plus dans le cercueil du régime russe.» Pour lutter contre le stress et l’anxiété, Boris Khersonski dispense des conseils professionnels et des recommandations pratiques, comme: ne pas regarder les nouvelles plus de deux fois par jour et se ressourcer en s’occupant des autres – en premier lieu des enfants. Lui-même entretient sa sérénité en écrivant des poèmes.

– A Odessa encore, les habitants se sont mobilisés pour protéger contre la menace russe l’opéra, plusieurs bâtiments culturels de la ville et des monuments. Ceci à l’aide de toiles et de sacs de sable tiré de la plage.

– Sur la place d’Odessa, l’orchestre académique national de l’opéra chante le chœur des esclaves de Nabucco de Verdi et l’hymne national à l’occasion de l’action Free sky initiée à Kyiv au quatorzième jour de la guerre: un appel du peuple ukrainien à fermer le ciel au-dessus du pays et à arrêter la guerre.

La ville entend résister jusqu’au bout. 

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