Coûts de la santé: sale temps pour les malades

Publié le 28 mars 2025
L’augmentation de la franchise minimale de l’assurance maladie décidée la semaine dernière par la majorité bourgeoise du Conseil national n’a rien d’une surprise. Une fois encore, le Parlement a décidé d’épargner les puissants lobbies de la santé et de prendre l'argent là où il y en a le moins: chez les assurés. Pourtant, d’autres solutions existent.

Urs P. Gasche, article publié dans sur Infosperber le 20 mars 2025. Traduit et adapté par Bon pour la tête 


Aujourd’hui, et bien qu’ils paient déjà une fortune pour leurs primes d’assurance maladie, les personnes malades doivent s’acquitter d’au moins 300 francs par an pour accéder aux soins. Si les traitements dépassent ce montant, ils doivent encore payer 10 % des factures de médecin et de médicaments jusqu’à un montant de 700 francs par an. En réalité, les Suisses paient beaucoup plus en frais de santé que dans de nombreux autres pays d’Europe et ceci malgré le fait que les coûts de l’assurance de base soient plus élevés que partout ailleurs.

Pourtant, après le Conseil des Etats, la majorité bourgeoise du Conseil national a décidé le 19 mars, par 114 voix contre 75 et 2 abstentions, d’augmenter à l’avenir la franchise minimale de 300 francs. Le montant exact sera fixé par le Conseil fédéral. La conseillère nationale UDC Diana Gutjahr a déclaré que cela permettrait de «renforcer la responsabilité individuelle ainsi que la prise de conscience des coûts» et contribuerait directement à la réduction des primes.

Une façon de dire à la grande majorité des malades qu’ils consultent inutilement et qu’ils consomment trop de médicaments! Alors que le Parlement aurait pu depuis longtemps imposer aux groupes pharmaceutiques, aux fabricants de prothèses, aux laboratoires, aux hôpitaux et aux médecins spécialistes de contribuer financièrement à l’effort collectif pour renforcer leur «responsabilité individuelle et leur conscience des coûts».

Des lobbies trop puissants

Pour lutter contre la hausse excessive des primes d’assurance maladie, le Parlement et le Conseil fédéral demandent donc aux seuls assurés de passer à la caisse. Il faut dire que ce sont eux qui ont le lobby le plus faible au Parlement.

En réalité, une augmentation de la franchise minimale ne changera pratiquement rien aux coûts élevés et en constante augmentation de l’assurance de base. Seule la répartition du financement sera modifiée. Ce sont surtout les personnes âgées, qui optent majoritairement pour la franchise minimale actuelle de 300 francs, qui passeront à la caisse. Et si cela leur est impossible, l’aide sociale et les prestations complémentaires devront prendre le relais.

Sarah Stalder, de l’association de protection des consommateurs, a réagi à la décision du Conseil national: «En comparaison internationale, la population suisse participe aux coûts de manière supérieure à la moyenne. Il faut prendre des mesures efficaces à long terme pour réduire les coûts de la santé.» Car un potentiel d’économie de plusieurs milliards de francs existe, mais il reste inexploité. Plusieurs experts de la santé attirent l’attention sur ce point depuis longtemps. Sauf que l’industrie pharmaceutique, les hôpitaux, les pharmacies, les médecins et les fabricants de produits médicaux et leurs lobbies défendent d’arrache-pied les plus de 50 milliards de francs qu’ils gagnent rien qu’avec les prestations de l’assurance de base obligatoire. Pour ce faire, les lobbyistes au Parlement n’hésitent pas à recourir à toutes les astuces imaginables: informations trompeuses sur papier glacé, invitations de parlementaires, etc.

Rien n’a changé au cours des dernières décennies

On nous a déjà beaucoup fait miroiter les bonnes approches et le fait que nous allons dans la bonne direction. Mais cela ne fait que détourner l’attention du fait que rien, en réalité, ne s’est amélioré au cours des dernières décennies:

1. La Suisse compte encore trop d’hôpitaux de soins aigus: le nombre de lits d’hôpital par habitant y est supérieur d’un tiers à celui des Pays-Bas et même de plus de 60 % à celui du Danemark et de la Suède, ce qui entraîne une augmentation du nombre et de la durée des traitements. Beaucoup de ces hôpitaux n’effectuent que quelques opérations délicates par mois, ce qui augmente le risque pour les patients.

2. Dans aucun autre pays d’Europe les caisses d’assurance maladie ne dépensent autant d’argent pour les médicaments qu’en Suisse: un franc sur quatre des primes (y compris les médicaments hospitaliers). Les caisses d’assurance maladie sont toujours obligées de rembourser de nombreux médicaments non rentables et inappropriés.

3. En Suisse, la qualité des hôpitaux est moins bien évaluée qu’en Angleterre, en Ecosse, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède, en Norvège ou en Australie. Moins de complications et moins de réopérations non planifiées permettraient d’éviter bien des souffrances mais aussi de réduire les coûts. Pourtant, en Suisse, les chirurgiens laissent généralement à leur sort les patients qui ont subi une arthroplastie de la hanche ou du genou, tandis que depuis 30 ans l’OFSP reste les bras croisés.

Aucune chance au Parlement pour les propositions raisonnables

De nombreux parlementaires UDC, PLR et du centre représentent directement les intérêts des médecins, des pharmaciens, des hôpitaux et des caisses d’assurance maladie. C’est pourquoi presque toutes les propositions raisonnables visant à réduire les coûts de notre système de santé à un niveau similaire à celui de la Scandinavie ou des Pays-Bas échouent. Depuis des décennies, ces «politiciens de la santé» acceptent uniquement les nouvelles lois ou réglementations qui permettent d’injecter de l’argent supplémentaire dans le système. Toutes les propositions qui réduiraient les revenus des prestataires de soins de santé n’ont, quant à elles, pratiquement aucune chance de passer. L’augmentation de la franchise n’aurait probablement rencontré aucun succès si elle avait réellement permis d’économiser de l’argent. Mais avec une franchise plus élevée, l’argent sera simplement redistribué, au détriment des malades.


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