Comment le réchauffement climatique redessine la carte du commerce international

Publié le 17 novembre 2023

Un porte-conteneurs amarré aux Bahamas en 2019. Corey Seeman/Flickr, CC BY

Le réchauffement climatique apporte avec lui des phénomènes météorologiques toujours plus extrêmes et accroît les inégalités entre les régions. Cependant, la croissance économique reste possible dans la mesure où les économies font montre de tout un éventail de réponses aux impacts du réchauffement planétaire.

Emilia Lamonaca, Università di Foggia; Fabio Gaetano Santeramo, Università di Foggia et Martina Bozzola, Queen’s University Belfast


Le réchauffement climatique apporte avec lui des phénomènes météorologiques toujours plus extrêmes et accroît les inégalités entre les régions. Cependant, la croissance économique reste possible dans la mesure où les économies font montre de tout un éventail de réponses aux impacts du réchauffement planétaire.

Récemment, nous avons tenté de comprendre comment la crise climatique redistribue les cartes du commerce international. Nos recherches concluent que des stratégies d’adaptation existent bel et bien en la matière.

Les changements de production induits par le changement climatique impactent les marchés nationaux et internationaux en fonction de la manière dont les interconnexions à travers le monde facilitent la circulation des marchandises. Tout en tenant compte de paramètres tels que la distance géographique ou la taille des économies, on observe que la valeur de l’échange de marchandises entre deux partenaires commerciaux est aussi grande que leurs conditions climatiques diffèrent. Plus précisément, pour une augmentation d’un degré Celsius de l’écart entre les températures moyennes de deux pays, on s’attend à ce que le commerce entre eux augmente de 38 % en moyenne.

Entre 1996 et 2015, par exemple, les échanges agricoles et alimentaires entre l’Inde et l’Indonésie se sont élevés en moyenne à 215 millions de dollars par an sur la période. Il fait en moyenne deux degrés de plus en Indonésie et un degré de plus entre les deux pays générerait une augmentation moyenne du commerce entre eux de 82 millions de dollars par an.

De nouvelles routes maritimes

Plus la différence de température entre les pays est importante, plus les relations commerciales sont potentiellement étroites donc. En termes absolus, le commerce aura tendance à augmenter de manière plus substantielle pour les routes de l’hémisphère nord, en particulier lorsque l’Union européenne et les États-Unis sont impliqués : avec l’évolution des températures, les routes maritimes intra-UE devraient augmenter chaque année de plus d’un milliard de dollars chacune. Le gain monétaire sur la route UE-États-Unis est également important, passant de 611 à 893 millions de dollars de plus par an selon les États membres.

Top 20 trade routes most affected by increase in the difference between countries’ temperaturesLes 20 routes commerciales les plus affectées par l’évolution des écarts de températures entre pays (année de rérérence : 2015/chiffres en millions de dollars). Fourni par l’auteur

Bien que moins marquée, une augmentation des valeurs commerciales est attendue entre les pays de l’hémisphère sud, notamment en Amérique latine (par exemple, une augmentation de 552 millions de dollars entre l’Argentine et le Brésil) et en Océanie (une augmentation de 573 millions de dollars entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande).

La différence d’ampleur des effets commerciaux entre les pays du Nord et du Sud est probablement due à la variation des climats et du niveau de développement économique des deux pays. La plupart des pays du Nord sont des économies développées, tandis que la plupart des pays du Sud sont des économies en développement ou émergentes. Les pays du Nord ont tendance à avoir un climat plus froid et des valeurs commerciales plus élevées que les pays du Sud. Dans le même contexte d’augmentation des différences de température, un niveau de développement économique plus élevé peut expliquer les gains plus importants en termes monétaires.

Changements de spécialisation

L’intensité de la saisonnalité varie considérablement à travers le monde, les saisons étant plus homogènes autour de l’équateur. Les différences de température ont ainsi tendance à augmenter la valeur des produits agricoles et alimentaires échangés entre les pays situés à des latitudes plus basses, comme la Chine, et les pays situés à des latitudes plus élevées, comme l’UE.

Selon les données de la direction générale de l’agriculture et du développement rural de la Commission européenne, la Chine est à la fois l’un des principaux pays d’origine et l’une des principales destinations de l’UE. En moyenne, la Chine est plus froide de 6 degrés Celsius que les partenaires commerciaux de l’UE pour la période allant de 1996 à 2015. Conformément à nos résultats, une telle différence augmenterait les échanges entre l’UE et la Chine. À l’instar d’autres pays d’Asie centrale traditionnellement pénalisés par leur climat, la Chine bénéficierait d’une meilleure productivité agricole avec des températures plus chaudes.

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Le changement climatique a des répercussions diverses dans l’espace, certains pays subissant des pertes ou des gains plus importants que d’autres. Dans l’ensemble, l’évolution des conditions climatiques et les différences croissantes de température entre les pays contribuent à modifier la géographie économique et à façonner les spécialisations sectorielles.

Le changement de spécialisation des pays est une forme d’adaptation qui dépend, entre autres, de leur capacité à commercer avec des partenaires d’autres régions du monde. Le développement de partenaires commerciaux ayant des spécialisations différentes constituerait une stratégie d’adaptation au changement climatique potentiellement bénéfique.


Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AXAResearchFund.The Conversation

Emilia Lamonaca, AXA Research Fellow, Università di Foggia; Fabio Gaetano Santeramo, Associate Professor, Università di Foggia et Martina Bozzola, Associate professor, School of Biological Sciences, Queen’s University Belfast

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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