Chômage: les chiffres ne disent pas tout

Publié le 20 janvier 2023
En temps de crise la tentation est grande de chercher une raison de se réjouir. La Suisse en a trouvé une: le très bas taux de chômage (2,2%). Problème: son mode de calcul ne permet pas la comparaison avec les voisins. Il en est réalité plus haut.

Les critères du BIT (Bureau international du travail) utilisés dans l’UE définissent ce qu’est une personne au chômage. Elle est en recherche d’emploi. Le décompte suisse porte en revanche sur les bénéficiaires de l’assurance. Celles et ceux qui arrivent en fin de droits ou veulent reprendre une activité après une longue interruption ne figurent plus dans le calcul.

Il faut saluer la transparence de l’Office fédéral de la statistique. Il publie régulièrement les «vrais» chiffres pour la Suisse, calculés selon la règle du BIT. Ainsi, pour le troisième trimestre de 2022, les chômeurs représentaient 4,3% de la population, soit 212’000 personnes, 41’000 de moins qu’un an auparavant. Les femmes sont plus touchées que les hommes. Et pour les personnes étrangères le taux est plus du double.

C’est globalement moins que dans les pays voisins. Mais l’examen attentif des plus proches réserve des surprises. L’Allemagne en est à 5,4%, mais l’Etat du Baden-Württemberg en face de chez nous (11 millions d’habitants!) en est à 3,6% au sens du BIT, moins que la Suisse. La France va mieux mais reste en moins bon état: 7,3%. Mais le taux de chômage est à 5,4% en Haute-Savoie et 5,2% dans le Jura. 

La baisse du chômage notée partout doit modérément nous réjouir. Le BIT constate que dans nos pas, les personnes qui ont décroché à un moment donné, surtout pour de longues périodes, ont toutes les peines à reprendre pied dans le monde du travail. A commencer par les femmes qui se sont consacrées à leur famille et souhaitent ensuite travailler à nouveau. S’ajoutent les travailleurs en sous-emploi qui renoncent, découragés, à viser un plein temps. Ceux qui, déprimés, ne cherchent plus activement un nouveau job et sortent ainsi de toutes les statistiques.

Dans son précieux ouvrage Désinformation économique (Editions Favre), Myret Zaki citait Ekkehard Ernst: «Le taux de chômage est un concept du début du XXème siècle, créé pour les besoins de gestion de l’époque. Aujourd’hui ce taux ne veut plus dire grand-chose et fournit une vue partielle. Il faut y ajouter plusieurs indices pour avoir une vue complète du marché du travail.»

Si l’on se risquait à rapprocher les chiffres de l’assurance-invalidité et ceux de l’assurance-chômage, on aurait sans doute une vision plus réaliste des difficultés de tant de gens. Et cela, ô ironie, au moment où les entreprises se plaignent de ne pas trouver de personnel qualifié. Cherchons l’erreur.

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