Amin Maalouf, tristesses d‘un humaniste levantin

Publié le 2 avril 2019

Amin Maalouf a 70 ans. Il est l’auteur de grands romans historiques comme «Samarcande» ou «Le Rocher de Tanios», Prix Goncourt 1993. Et d’essais comme «Les identités meurtrières». – © Wikipedia

Après moi le déluge? Qui n’est pas tenté de mesurer la Grande Histoire à l’aune de sa petite vie. A l'âge des bilans, l’auteur de «Léon l’Africain» finit par affronter cette audacieuse hypothèse: dans son cas, la coïncidence n’est pas une illusion d’optique. C’est dans le Levant de son enfance que tout à commencé: cet obscurcissement moral, ce délitement des solidarités humaines qui a fini par se répandre dans le monde. Que s’est-il passé? Aurait-il pu en être autrement? Dans son dernier livre, «Le naufrage des civilisations», l’écrivain franco-libanais s’astreint au devoir d’intelligence, pour alerter et prévenir.

Damas, Badghdad, Beyrouth, Cordoue, Alep, Fez, Alexandrie, Grenade… fermez les yeux sur l’actualité et laissez remonter le parfum ancien qui émane de ces noms. C’est la senteur entêtante de l’aventure humaine dans ce qu’elle produit de plus puissant là où les ports sont accueillants et les idées libres de circuler.

Personne mieux qu’Amin Maalouf, auteur de Léon l’Africain, de Samarcande, du Périple de Baldassarre, n’a célébré l’héritage des «sublimes bâtisseurs» qui ont nourri la modernité avec les mathématiques, l’architecture, la médecine, la philosophie. Non pas pour expliquer que les Occidentaux ne seraient rien sans les Arabes, mais pour dire le génie propre aux sociétés plurielles, cosmopolites, circulantes. Tel était ce que l’écrivain franco-libanais s’obstine à désigner du terme suranné de «Levant». Il le définit comme «l’ensemble des lieux où les vieilles cultures de l’Orient méditerranéen ont fréquenté celles, plus jeunes, de l’Occident.» Il y avait là, dit-il, une qualité de coexistence et de compréhension mutuelle qui aurait pu «tirer vers le haut» l’humanité entière en lui servant de modèle.

Mais «Les lumières du Levant se sont éteintes. Puis les ténèbres se sont propagées à travers la planète.» Aujourd’hui, c’est le tribalisme qui triomphe. Amin Maalouf a délaissé les chatoyantes fresques historiques pour écrire des essais. Il y parle de ses «tristesses», des images qui le «hantent» et des questions qui l’«obsèdent». Ce n’est pas une simple façon de parler: ce fils de journaliste et ancien grand reporter consacre plusieurs heures par jour à suivre avec passion la...

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