A un glorieux sceptique

Ceci est un hommage à un héros de mon enfance. James Randi, magicien génial et avocat passionné de la pensée critique, mort à 92 ans, barbe blanche et œil pétillant, le 20 octobre en Floride.
Dans un des tours qui l’ont rendu célèbre dans les années 1950, «The amazing Randi » se libérait d’une camisole de force, suspendu par les pieds au-dessus des chutes du Niagara. Mais c’est le second chapitre de sa vie qui m’a captivée: celui où, voyant que le public lui prêtait des pouvoirs miraculeux il est devenu, par amour de la magie et dégoût du mensonge, l’ennemi public numéro un des charlatans du paranormal. Sur les scènes et les plateaux télé, il s’est mis à plier des fourchettes comme Uri Geller, à extirper des tumeurs comme les guérisseurs philippins, à deviner des numéro de téléphone comme l’évangéliste Peter Popov, autre grand escroc de l’époque. Puis Randi interpellait le public: ça vous paraît surnaturel? Eh bien non, il y a un truc. Aucun de ces prodiges présentés comme paranormaux n’est hors de portée d’un bon pro. Apprenez à regarder au-delà des apparences.
Dans les années 1970, avec des amis scientifiques, James Randi a fondé un mouvement dédié à l’investigation critique des pseudo-sciences et des phénomènes paranormaux. Quand j’étais petite, je trouvais leur magazine sur la table du salon: «Skeptical Inquirer». L’enquêteur sceptique. Quel titre! J’était charmée, intriguée. Et, des étoiles dans les yeux, j’écoutais mon père me raconter les aventures de James Randi, super-héros au service de la pensée rationnelle.
Sa trouvaille la plus simple reste ma préférée: celle du One Million Paranormal Challenge. Un prix d’un million de dollars destiné à la personne capable de reproduire un phénomène paranormal dans un environnement contrôlé, permettant d’exclure toute fraude. Fondé en 1964, le prix n’a jamais été distribué.
James Randi nous a invités à contempler l’extrême faillibilité de l’esprit humain au moment de se forger une opinion: même armés de tous les instruments au service d’une pensée logique, nous avons un irrésistible penchant pour la croyance. Croire est plus qu’un désir, c’est un besoin, disait-il. Ça ne va pas en s’arrangeant.
Devant un carton de vieux magazines, je réalise ceci: au temps de mon papa, le mot «sceptique», riche d’une longue tradition philosophique, traduisait sans ambiguité une quête rigoureuse de la vérité. Aujourd’hui, il en est arrivé à désigner des gens qui croient que Bill Gates veut nous implanter une puce-flic via un vaccin anti-covid. Pauvre Randi, mieux vaut mourir que d’entendre ça.
Tout va bien, la chronique d’Anna Lietti, paraît chaque mois dans 24 heures et sur Bon Pour La Tête, accompagnée d’un dessin inédit de Pascal Parrone.
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