Publié le 9 novembre 2020

© Pascal Parrone

Il a mis à jour notre irrésistible besoin de croyance. James Randi, super-héros au service de la pensée rationnelle, est mort. Et la notion de scepticisme ne va pas bien du tout.

Ceci est un hommage à un héros de mon enfance. James Randi, magicien génial et avocat passionné de la pensée critique, mort à 92 ans, barbe blanche et œil pétillant, le 20 octobre en Floride.

Dans un des tours qui l’ont rendu célèbre dans les années 1950, «The amazing Randi » se libérait d’une camisole de force, suspendu par les pieds au-dessus des chutes du Niagara. Mais c’est le second chapitre de sa vie qui m’a captivée: celui où, voyant que le public lui prêtait des pouvoirs miraculeux il est devenu, par amour de la magie et dégoût du mensonge, l’ennemi public numéro un des charlatans du paranormal. Sur les scènes et les plateaux télé, il s’est mis à plier des fourchettes comme Uri Geller, à extirper des tumeurs comme les guérisseurs philippins, à deviner des numéro de téléphone comme l’évangéliste Peter Popov, autre grand escroc de l’époque. Puis Randi interpellait le public: ça vous paraît surnaturel? Eh bien non, il y a un truc. Aucun de ces prodiges présentés comme paranormaux n’est hors de portée d’un bon pro. Apprenez à regarder au-delà des apparences.

Dans les années 1970, avec des amis scientifiques, James Randi a fondé un mouvement dédié à l’investigation critique des pseudo-sciences et des phénomènes paranormaux. Quand j’étais petite, je trouvais leur magazine sur la table du salon: «Skeptical Inquirer». L’enquêteur sceptique. Quel titre! J’était charmée, intriguée. Et, des étoiles dans les yeux, j’écoutais mon père me raconter les aventures de James Randi, super-héros au service de la pensée rationnelle.

Sa trouvaille la plus simple reste ma préférée: celle du One Million Paranormal Challenge. Un prix d’un million de dollars destiné à la personne capable de reproduire un phénomène paranormal dans un environnement contrôlé, permettant d’exclure toute fraude. Fondé en 1964, le prix n’a jamais été distribué.

James Randi nous a invités à contempler l’extrême faillibilité de l’esprit humain au moment de se forger une opinion: même armés de tous les instruments au service d’une pensée logique, nous avons un irrésistible penchant pour la croyance. Croire est plus qu’un désir, c’est un besoin, disait-il. Ça ne va pas en s’arrangeant.

Devant un carton de vieux magazines, je réalise ceci: au temps de mon papa, le mot «sceptique», riche d’une longue tradition philosophique, traduisait sans ambiguité une quête rigoureuse de la vérité. Aujourd’hui, il en est arrivé à désigner des gens qui croient que Bill Gates veut nous implanter une puce-flic via un vaccin anti-covid. Pauvre Randi, mieux vaut mourir que d’entendre ça.


Tout va bien, la chronique d’Anna Lietti, paraît chaque mois dans 24 heures et sur Bon Pour La Tête, accompagnée d’un dessin inédit de Pascal Parrone.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Sciences & Technologies

Compétences indispensables et professions émergentes pour un futur responsable avec l’IA

L’Histoire éclaire le présent et préfigure les futurs possibles. Les conférences de Macy (1946 1953) montrent comment le dialogue entre disciplines comble les angles morts de la connaissance et pose les bases de l’intelligence artificielle. Des enseignements essentiels pour guider l’utilisation responsable de celle-ci dans un monde où tout s’influence (...)

Igor Balanovski
Sciences & Technologies

Comment naviguer dans un monde en perpétuelle mutation

Dans un océan d’informations, nos choix dépendent moins de ce que nous savons que de notre capacité à relier et organiser nos connaissances. Entre philosophie, psychologie et intelligence artificielle, découvrez comment naviguer dans un monde qui se reconfigure sans cesse afin de tirer parti du chaos et transformer l’incertitude en (...)

Igor Balanovski
Santé

L’histoire des épidémies reste entourée de mystères et de fantasmes

Les virus n’ont pas attendu la modernité pour bouleverser les sociétés humaines. Dans un livre récent, les professeurs Didier Raoult et Michel Drancourt démontrent comment la paléomicrobiologie éclaire d’un jour nouveau l’histoire des grandes épidémies. De la peste à la grippe, du coronavirus à la lèpre, leurs recherches révèlent combien (...)

Martin Bernard
Philosophie

Quand l’IA gagne en puissance, la philosophie gagne en nécessité

A l’heure où les machines imitent nos mots, nos gestes et nos doutes, la frontière entre intelligence artificielle et intelligence humaine se brouille. L’IA, miroir de nos structures mentales, amplifie nos forces autant que nos dérives. Face à cette accélération, la philosophie s’impose: elle éclaire les liens, les contextes, les (...)

Igor Balanovski
Philosophie

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud
Sciences & TechnologiesAccès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Culture

Quand notre culture revendique le «populaire de qualité»

Du club FipFop aux mémorables albums à vignettes des firmes chocolatières NPCK, ou à ceux des éditions Silva, en passant par les pages culturelles des hebdos de la grande distribution, une forme de culture assez typiquement suisse a marqué la deuxième décennie du XXe siècle et jusque dans la relance (...)

Jean-Louis Kuffer
PhilosophieAccès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Culture

Un western philosophique où les balles sont des concepts

Le dernier livre d’Alessandro Baricco, «Abel», se déroule au Far West et son héros est un shérif tireur d’élite. Il y a bien sûr des coups de feu, des duels, des chevaux, mais c’est surtout de philosophie dont il s’agit, celle que lit Abel Crow, celle qu’il découvre lors de (...)

Patrick Morier-Genoud
Culture

«L’actualité, c’est comme la vitrine d’une grande quincaillerie…»

Pendant de nombreuses années, les lecteurs et les lectrices du «Matin Dimanche» ont eu droit, entre des éléments d’actualité et de nombreuses pages de publicité, à une chronique «décalée», celle de Christophe Gallaz. Comme un accident hebdomadaire dans une machinerie bien huilée. Aujourd’hui, les Editions Antipode publient «Au creux du (...)

Patrick Morier-Genoud
Culture

Quand Etienne Barilier débrouille les «Brouillons» de Lichtenberg

Formidable objet éditorial résultant de l’accointance éclairée des éditions Noir sur Blanc et du romancier-essaysite-traducteur-préfacier et (prodigieux) annotateur, la première intégrale en langue française des cahiers scribouillés du génial polygraphe scientifico-poétique, folle figure de sage des Lumières, apparaît, bien au-delà de ses recueils d’aphorismes, comme un «océan de pensée» fascinant (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Du réconfort qu’apportent les grenouilles

Face à la morosité de l’actualité, les grenouilles empaillées d’Estavayer-le-Lac représentant des scènes du quotidien offrent un peu d’autodérision. Car ne sommes-nous pas tous des petits êtres qui croassent et gobent les mouches?

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Intelligence artificielle: les non-dits

On nous annonce une révolution avec l’arrivée invasive et fulgurante de l’IA dans nos vies, nos modes d’apprentissage et de production et, surtout, la mise à disposition de l’information immédiate et «gratuite» sans effort, objet central ici. Or nous ne mesurons aucunement ce que cela signifie vraiment.

Jamal Reddani
Sciences & TechnologiesAccès libre

Combien de temps l’humanité survivrait-elle si l’on arrêtait de faire des enfants?

Suffit-il de calculer l’espérance de vie maximale d’un humain pour deviner combien de temps mettrait l’humanité à disparaître si l’on arrêtait de se reproduire? Pas si simple répond l’anthropologue américain Michael A. Little.

Bon pour la tête
Sciences & Technologies

Masculin et féminin: on n’en a pas fini avec les stupidités

C’est le spermatozoïde le plus rapide, le plus fort et le plus malin qui féconde l’ovule, essaie-t-on de nous faire croire. Ainsi, certaines positions sexuelles favoriseraient les mâles rapides, d’autres les femelles résistantes. C’est bien sûr beaucoup plus subtil que ça, plus intelligent. La vie n’est pas une course.

Patrick Morier-Genoud
Culture

Faut-il vraiment se méfier de Yuval Noah Harari?

La trajectoire du petit prof d’histoire israélien devenu mondialement connu avec quatre ouvrages de vulgarisation à large spectre, dont Sapiens aux millions de lecteurs, a suscité quelques accusations portant sur le manque de sérieux scientifique de l’auteur, lequel n’a pourtant jamais posé au savant. D’aucun(e)s vont jusqu’à le taxer de (...)

Jean-Louis Kuffer