2022, une année de sport très géopolitique

Publié le 28 janvier 2022
L’année sportive 2022 promet d’être spectaculaire, autant sur les terrains de jeu qu’en dehors. Plusieurs méga-événements sportifs seront organisés, notamment les Jeux olympiques d’hiver et la Coupe du monde de la FIFA, qui se dérouleront respectivement en Chine et au Qatar.

Simon Chadwick, EM Lyon


En plus de ces événements se dérouleront également les compétitions annuelles, entre grands matchs, ligues nationales, championnats et tournois internationaux. En janvier déjà, le rallye Paris-Dakar est en cours en Arabie saoudite et la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun. En mars, la Ligue des Champions de l’UEFA reprend et en avril, le championnat du monde de Formule 1 redémarre.

Pourtant, le contexte dans lequel chacun de ces événements va se tenir est en train de changer, et ce depuis trois décennies. Le monde du sport, comme le monde en général, est très différent de ce qu’il était au XXᵉ siècle.

En 1999, la majorité des courses de Formule 1 se déroulaient en Europe ; en 2022, les Grands Prix européens seront en minorité, des pays comme l’Azerbaïdjan ayant commencé à accueillir des courses. De même, l’Arabie saoudite est devenue la patrie du rallye Paris-Dakar, résultat de l’engagement politique du gouvernement de Riyad en faveur d’investissements à grande échelle dans le sport.

Diplomatie des stades

La Ligue des Champions de l’UEFA sera à nouveau parrainée par la société publique russe d’énergie Gazprom, comme c’est le cas depuis près de dix ans. Gazprom ne vend rien directement aux consommateurs, mais conclut des accords pour vendre du gaz aux pays. Ces derniers mois, alors que les prix de l’énergie en Europe ont considérablement augmenté, des inquiétudes ont été exprimées quant au fait que Gazprom contrôle les approvisionnements énergétiques à des fins politiques. Certains critiques, comme l’ancien président américain Donald Trump, ont même fustigé des pays comme l’Allemagne pour leur dépendance au gaz russe.

Au Cameroun, les quatre stades utilisés pendant la Coupe d’Afrique des Nations ont été construits par la Chine, illustration de la « diplomatie des stades » mise en place par l’Empire du Milieu. Ces stades ont été offerts au Cameroun par Pékin ou ont été financés par des prêts à taux réduit (c’est-à-dire des prêts accordés à des taux inférieurs à ceux du marché). La raison en est que le pays africain possède des ressources naturelles dont la Chine a besoin pour assurer sa subsistance et sa croissance économique continue.

L’organisation des Jeux olympiques d’hiver par la Chine est également importante, car elle a lieu dans un contexte de relations de plus en plus tendues avec l’Occident. Cette situation est due, par exemple, à des préoccupations concernant la minorité ouïghoure du Xinjiang, ainsi qu’à la façon dont la Chine a traité des questions telles que la mystérieuse disparition de la joueuse de tennis Peng Shuai. En effet, en réponse à cette dernière, la Women’s Tennis Association, basée en Floride, s’est retirée de Chine, ce qui a mis certains sponsors et athlètes dans une position délicate.

Le gouvernement de Pékin ne semble pas être particulièrement perturbé par ces préoccupations. Il s’agit plutôt pour la Chine d’affirmer sa crédibilité en tant qu’hôte de l’événement, en tant que membre important de l’industrie mondiale du sport et en tant que force économique et politique de plus en plus puissante.

Le Qatar tient à adopter un ton plus conciliant avec le monde dans ses préparatifs en vue de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022, bien que l’importance du tournoi pour le pays ne soit pas moindre que celle des Jeux olympiques d’hiver pour la Chine. Le plus grand événement de football a servi de base à la construction d’une nation, à l’établissement d’une image de marque et à la projection d’une puissance douce, le petit État du Golfe cherchant à redorer son image et sa réputation dans le monde.

Cela n’a pas été simple, car le Qatar fait toujours l’objet d’un examen minutieux de la part de l’Occident, qui s’inquiète des problèmes liés au marché du travail, à l’égalité et au traitement des groupes minoritaires.

L’organisation par le Qatar de l’événement phare de la FIFA revêt une dimension géographique évidente, car cette toute petite nation cherche à asseoir sa légitimité et à se protéger dans une région sujette aux conflits. De même, le rôle de plus en plus important de Gazprom en tant que sponsor du sport reflète l’avantage géographique de la Russie, qui dispose d’énormes réserves de ressources naturelles.

Outre la géographie, la politique joue également un rôle au XXIe siècle, notamment par le biais du rôle accru que jouent les gouvernements et les États. Par exemple, l’Arabie saoudite dépense des milliards de dollars dans le sport, ce que le gouvernement de Riyad considère comme un moyen de promouvoir un programme de réformes nationales tout en donnant une image plus progressiste au reste du monde.

Une économie géopolitique du sport

Sur le plan économique, de nombreux pays considèrent désormais le sport comme un secteur industriel important, capable d’accroître le revenu national, de contribuer à la création d’emplois, de générer des recettes d’exportation et des impôts. Le gouvernement chinois cherche à mettre en place la plus grande économie sportive nationale du monde d’ici 2025, d’une valeur de 750 milliards de dollars. Par ailleurs, Israël veut s’imposer comme un centre mondial de la technologie sportive, tout comme la Corée du Sud veut faire de même dans l’industrie de l’e-sport.

La façon dont la géographie, la politique et l’économie interagissent les unes avec les autres rend nécessaire une nouvelle façon de concevoir le sport, que l’on peut appeler l’économie géopolitique du sport. Après trois décennies de profonds changements, dont la mondialisation et la numérisation, le sport n’est plus seulement une question de compétition sur le terrain de jeu.

Ces changements sont le résultat de l’évolution du pouvoir économique et politique mondial, les nations asiatiques, en particulier, exerçant désormais une influence croissante sur le sport. Dans le même temps, des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France comprennent que le sport peut apporter des avantages considérables à un pays, comme la projection d’un « soft power » (puissance douce) et la mise en place de relations commerciales plus fortes.

L’économie géopolitique du sport soulève toutefois des problèmes majeurs. Par exemple, alors que le Qatar croit être engagé dans la construction d’une nation, les critiques soulignent les problèmes permanents du pays avec son système de kafala. Dans le cas de l’Arabie saoudite, qui cherche à devenir un important hôte d’événements sportifs mondiaux, beaucoup accusent le pays de blanchir son image et sa réputation par le biais du « sport washing ».

Ainsi, lorsque les fans se préparent cette année à profiter de certains de leurs événements et compétitions préférés, il est bon de se rappeler que le sport reste un jeu important. Même si, de nos jours, il se joue de plus en plus en termes géographiques, politiques et économiques.The Conversation


Simon Chadwick, Global Professor of Eurasian Sport | Director of Eurasian Sport, EM Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

La loi du plus fort, toujours

Le mérite de Donald Trump est d’éclairer d’une lumière crue, sans fioritures, la «loi du plus fort» que les Etats-Unis imposent au monde depuis des décennies. La question des barrières douanières est le dernier avatar de ces diktats qui font et firent trembler le monde, au gré des intérêts de (...)

Catherine Morand

Chine-Russie: le nouvel axe du monde est là pour durer

Dans la mythologie chrétienne et nombre de religions, l’Axis Mundi est le centre sacré de l’univers, le moyeu autour duquel les différentes parties du monde s’ordonnent et trouvent leur place. Ce rôle était tenu jusqu’ici par l’Occident incarné par le binôme Europe-Etats-Unis. Il a désormais basculé vers l’Asie, autour de (...)

Guy Mettan

Chongqing, la ville-monde que le monde ne veut pas connaître

Première entité urbaine du monde, cette ville du sud-ouest de la Chine en est aussi la première métropole industrielle. On y fabrique voitures, motos, laptops ou encore smartphones, et on y maîtrise parfaitement l’intelligence artificielle. Si un mur d’ignorance sépare l’Occident de Chongqing, et aussi un peu de sinophobie, la (...)

Guy Mettan

La Chine, première puissance mondiale en 2049?

En 2008, les Jeux Olympiques de Pékin ont illustré avec munificence le retour de la Chine à l’avant-scène mondiale. Le pays devance désormais les Etats-Unis dans le domaine industriel et menace leur hégémonie militaire. En 2049, dans un quart de siècle, il célèbrera le centenaire de la proclamation de la (...)

André Larané

Bienvenue dans l’ère post-libérale!

Face à ses adversaires divisés, Trump a beau jeu de les jouer les uns contre les autres, comme il vient de le faire en gelant soudainement son projet de taxes douanières pour mieux cibler la Chine. Mais ce revirement de situation momentané n’y change rien: nous sommes résolument entrés dans (...)

Guy Mettan

La Libération selon Donald Trump

Dans un monde où la globalisation semble perdre de son influence, les nations se replient sur elles-mêmes, préférant un protectionnisme croissant. Des barrières commerciales se dressent, non seulement à l’initiative des Etats-Unis de Trump, mais aussi d’autres pays comme le Mexique, l’Europe ou la Chine. Ce phénomène n’est plus temporaire, (...)

Michel Santi

L’Amérique du Sud préfère la Chine

L’Argentine, le Brésil ou encore le Pérou exportent chaque année davantage de produits en direction du marché chinois au dépend des Etats-Unis, explique «Zonebourse».

Bon pour la tête

La stratégie du choc de Donald Trump

Le blocage des fonds de l’USAID, lundi dernier, a semé la panique chez les bénéficiaires de l’aide au développement américaine. Il illustre surtout de façon spectaculaire la méthode du «choc et de la stupeur» pratiquée par Trump. A l’inverse, Russes et Chinois semblent opter pour une approche plus souple, plus (...)

Guy Mettan
Accès libre

Brevets en oncologie: l’Europe à la traîne

Beaucoup d’idées, peu de percées: si les entreprises européennes jouent un rôle clé dans la recherche sur le cancer, une étude de l’Office européen des brevets révèle que le vieux continent risque toutefois de perdre la main, dépassé par les Etats-Unis et la Chine.

Bon pour la tête
Accès libre

Le boom des exportations chinoises

Malgré les tentatives occidentales pour limiter les importations de produits chinois, le volume de celles-ci a augmenté de 40% en 5 ans, expliquent nos confrères des «Echos».

Bon pour la tête

Nouvelles du Qinghai et du Xizang (Tibet)

La prochaine fois que vous irez à Lhassa, n’oubliez pas d’y visiter le musée d’Art moderne. Grimpez les escaliers souvent étroits et raides du Palais Blanc et du Palais Rouge du Potala, brûlez une chandelle de beurre de yack devant l’un des milliers de bouddhas peints du Jokhang. Ils sont (...)

Guy Mettan

Comment les BRICS réinventent le monde

Les BRICS s’apprêtent à tenir leur prochain sommet les 24 et 25 octobre prochain à Kazan, en Russie. Désormais au nombre de neuf, depuis l’admission en début d’année des Emirats, de l’Egypte, de l’Ethiopie et de l’Iran, ce sommet devrait enregistrer les candidatures de la Turquie, de l’Azerbaïdjan, du Venezuela, (...)

Guy Mettan
Accès libre

La Chine, championne du monde de la transition énergétique

Longtemps sommée de se mettre au diapason des efforts occidentaux vers la transition énergétique, la Chine apparaît désormais comme le champion toutes catégories. Voitures électriques, énergie éolienne, panneaux solaires: production, installation et innovations suivent à un rythme effréné. La réponse de l’Occident? Des droits de douanes augmentés, quand les efforts (...)

Bon pour la tête

Y’a-t-il quelque chose de mieux que le sexe?

Pour le joueur de football Zlatan Ibrahimović, la réponse est «non!»; pourquoi alors la masturbation est-elle toujours taboue au sein des couples? Sinon, certains animaux semblent peu apprécier les humains et leurs activités, et ils le leur font savoir, notamment en ce qui concerne des productions cinématographiques. Et puis, il (...)

Patrick Morier-Genoud