Des médias pas comme les autres qui se portent bien

Publié le 3 septembre 2021

© DR

Sur le papier ou en ligne, de petites échoppes offrent aux publics curieux des textes, des dessins, des images qui sortent de l’ordinaire. Deux d’entre elles sont à la fête ces jours. L’hebdomadaire satirique «Vigousse» vient de publier son 500ème numéro. Et dans un tout autre registre, le site Antipresse en est à sa 300ème édition, sans manquer un seul de ses rendez-vous dominicaux. Deux exploits. A force de persévérance, d’abnégation et de talent. Car ces minuscules équipes ne sont guère rémunérées. Elles vivent pratiquement avec les seules ressources de leurs fidèles abonnés. Comme BPLT, soit dit en passant.

Vigousse, rappelle son infatigable co-fondateur, le dessinateur Barrigue – avec un demi-siècle de cette passion au compteur – c’est la liberté de rire de tout. Mais pas n’importe comment. Une liberté menacée? Il soulignait l’autre matin dans l’émission Médialogues la difficulté de l’exercice. Les dessins circulent aujourd’hui sur le net, vus par des gens peu ou pas familiers de l’esprit du titre, à la différence de ceux qui l’achètent régulièrement. C’est ce qui a déclenché la furie meurtrière contre Charlie Hebdo en 2015. L’équipe de Vigousse ne s’autocensure pas pour autant mais reste dans la tonalité du pays romand, avec une certaine bonhomie. Il veut d’abord faire rire ou au moins sourire. Faire vivre à tout prix le dessin de presse. Révéler des talents. Tels ceux de la Genevoise Bénédicte ou la Jurassienne Caro qui se lance dans le reportage crayon en main, pour ne citer que des femmes.

L’humeur du magazine? Elle se veut un brin provocatrice, sinon insolente, surtout quand il s’agit d’épingler les rupins. Plus sage aussi quand le virus rôde… Un de ses chroniqueurs s’est même fait une spécialité de passer les complotistes au scanner. On aime ou pas ce mélange d’articles plus ou moins informatifs et de dessins poivrés, on rit ou pas, mais on tire son chapeau devant le succès, dont tant doutaient au départ, d’une toute petite équipe qui sait se renouveler, avec très peu de moyens financiers, vivant principalement des abonnements. A la différence de grandes entreprises médiatiques qui ne cessent de se «restructurer» sans guère trouver quelque nouveau souffle.

Antipresse, c’est une toute autre histoire. Un homme d’abord, d’une puissance intellectuelle hors du commun, Slobodan Despot. Avec son fidèle acolyte, Eric Werner et quelques autres, il touille chaque dimanche un chaudron de la pensée. D’origine serbe, ancré en Valais, voyageur impénitent, romancier, accro de l’écriture, ce pilier du site est d’une assiduité époustouflante. Non content d’écrire, de lire ses papiers pour la version audio, il envoie sur Youtube, chaque vendredi, une introduction au propos en video. Où qu’il se trouve. Cet été il était en Russie. S’adressant à nous du fond des campagnes, d’une maison sans eau courante mais joignable par les ondes téléphoniques! 

Certains lui collent une étiquette politique simpliste qu’ils jugent dérangeante. Il a certes sa fibre propre, ses convictions, mais c’est mal le connaître que de voir en lui un agitateur idéologique. Ses dires peuvent heurter ici ou là, mais il est en perpétuel questionnement. Il ne craint pas la contradiction argumentée. Son exploration des profondeurs de l’événement est nourrie par une impressionnante connaissance littéraire et historique, par des lectures dans les nombreuses langues qu’il maîtrise. Soutenue aussi par sa relation avec les gens qu’il rencontre dans ses pérégrinations, avec la nature qu’il perçoit intensément, des sentiers valaisans aux steppes lointaines. On ne sort jamais indemne de ses considérations. On retourne, dimanche après dimanche, remuer le bouillon de sa pensée, pour le plaisir des neurones. Son audience s’est accrue depuis le début de la crise dite sanitaire, si manifestement politique et philosophique aussi. Il ne dénonce pas, il explique, il s’en prend à l’aveuglement des sociétés que la peur et la manipulation conduisent à sacrifier des libertés fondamentales. «Pour notre bien», comme disent les autorités. Sans désigner, comme le font cependant les gourous du «transhumanisme», les perspectives qu’ouvrent ces mesures et ces outils, vers la surveillance et le conditionnement des individus. Un travail de fond. Qui ne tourne pourtant pas à l’obsession chez Despot. Il garde les yeux sur les soubresauts du monde, ce qui relativise d’ailleurs nos frayeurs locales. Avec la dent dure. Hors, bien sûr, de la vision américano-centrée qui s’impose sur tant de sujets dans ce qu’il appelle «les médias de grand chemin».

Qui ne craint pas de bousculer son confort intellectuel se doit de faire un tour dans l’Antipresse. Slobodan Despot est une figure qui marque et enrichit le paysage de la pensée, quelque peu rabougri, de ce pan francophone de la Suisse, en rayonnant d’ailleurs bien au-delà des frontières, géographiques et mentales. Merci à lui et à ceux qui l’accompagnent. 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

La neutralité fantôme de la Suisse

En 1996, la Suisse signait avec l’OTAN le Partenariat pour la paix, en infraction à sa Constitution: ni le Parlement ni le peuple ne furent consultés! Ce document, mensongèrement présenté comme une simple «offre politique», impose à notre pays des obligations militaires et diplomatiques le contraignant à aligner sa politique (...)

Arnaud Dotézac
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Economie

Le secret bancaire, un mythe helvétique

Le secret bancaire a longtemps été l’un des piliers de l’économie suisse, au point de devenir partie intégrante de l’identité du pays. Histoire de cette institution helvétique, qui vaut son pesant d’or.

Martin Bernard
Sciences & Technologies

Des risques structurels liés à l’e-ID incompatibles avec des promesses de sécurité

La Confédération propose des conditions d’utilisation de l’application Swiyu liée à l’e-ID qui semblent éloignées des promesses d’«exigences les plus élevées en matière de sécurité, de protection des données et de fiabilité» avancées par l’Administration fédérale.

Solange Ghernaouti
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
CultureAccès libre

Vive le journalisme tel que nous le défendons!

Pourquoi BPLT fusionne-t-il avec d’Antithèse? Pour unir les forces de deux équipes attachées au journalisme indépendant, critique, ouvert au débat. Egalement pour être plus efficaces aux plans technique et administratif. Pour conjuguer diverses formes d’expression, des articles d’un côté, des interviews vidéo de l’autre. Tout en restant fidèles à nos (...)

Jacques Pilet
Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Culture

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
Economie

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud