A Anzeinde avec les éboëlleurs valaisans

Publié le 6 août 2021
Un an après avoir sillonné le Valais par cols et par vaux pendant cinquante-cinq jours, il est temps de reprendre le sac à dos et de partir pour une nouvelle aventure, à travers la Suisse romande cette fois-ci. L’idée est de remonter le röstigraben de Saint-Maurice à Bâle en redescendant à Genève par les crêtes du Jura. Episode 3, où il est question d'un mémorable vol de vaches.

Plans-sur-Bex – Pont-de-Nant – Chez Richard – La Vare – Boëllaire – Col des Essets – Refuge Giacomini – 16 juillet 2021


Trois jours de pluie diluvienne ont bloqué l’accès aux Plans-sur-Bex. La route est fermée et des ouvriers s’activent à dégager les coulées de boue qui obstruent le passage. Il faut rebrousser chemin jusqu’aux Salines et emprunter l’étroite voie du fond de vallée. Le brouillard s’accroche encore aux parois. Tout est détrempé.

Mon frère me dépose aux Plans et je peux commencer à remonter l’Avançon, déchainé. Ce matin en effet, le torrent d’habitude si paisible a pris des airs de chutes du Rhin et soulève des nuages de gouttelettes.

A Pont-de-Nant, j’ai à peine le temps de m’asseoir sur la terrasse de l’auberge que la pluie se met à tomber. Il faut rentrer. La table d’à côté est occupée par l’ancien garde-forestier de la vallée, devenu inspecteur bénévole des sentiers de randonnée. C’est le gardien en chef des panneaux jaunes et il connaît évidemment le coin comme sa poche. On passe en revue les chemins balisés de la région avant de discuter des mérites de ceux du Valais. Mon commensal est facétieux. Voulant sans doute tester ma délicate sensibilité de Valaisan d’origine et de Genevois d’adoption à demi-véganisé, le voici qui se met à raconter une histoire terrifiante de maraudeurs valaisans éventreurs de vaches. Je suis naturellement alléché. Les histoires extraordinaires ne sont-elles pas le sel de tout voyage digne de ce nom?

Il m’annonce en effet que, plus haut dans le vallon, je vais devoir passer par un lieu-dit appelé Boëllaire qui fut le théâtre d’une mémorable bataille avec des pillards venus du canton voisin.

«Ah bon?», dis-je avec scepticisme.

Cachés dans les ventres des vaches

« Oui, il y a fort longtemps (date inconnue) une bande de Valaisans était partie de Conthey pour détrousser les preux vachers de Bex en franchissant le Pas de Cheville depuis Derborence. Arrivés dans le vallon de Nant, ils se mirent à massacrer les bergers et à voler leurs vaches. C’était sans compter sur le courage d’un gamin futé qui réussit à s’échapper et à donner l’alerte. Une troupe se forma aussitôt et remonta le val pour couper la route aux brigands. Lesquels, saisis de frayeur à la vue de ces manants furieux, ne trouvèrent rien de mieux que d’éboëller (éventrer) les vaches dans l’espoir de s’y cacher! Grossier subterfuge, vite décelé. Si bien que pas un seul n’en réchappa, mis à part le curé qui les accompagnait pour bénir l’expédition, et «qu’on ficela sur un âne et renvoya chez lui à coups de trique» m’assure mon conteur.

Qui poursuit, en substance: «C’est pour marquer cette historique victoire vaudoise sur le séculaire ennemi valaisan qu’on donna à ce haut lieu le nom de Boëllaire.»

En attendant d’en avoir le cœur net, c’est donc avec une pensée émue pour mes pauvres compatriotes réfugiés dans la panse des vaches vaudoises que je m’élance à l’assaut des pentes qui longent le Miroir de l’Argentine en direction d’Anzeindaz. Au Richard, pas de vaches à éboëller mais quatre cochons qui viennent me souhaiter la bienvenue en se faisant gratter l’oreille avec des grognements de satisfaction. J’en profite pour acheter une belle et appétissante tomme de chèvre à un étudiant en médecine parisien promu gardien d’étable pour les vacances. A cinq francs la pièce, le jeu en vaut la chandelle.

Un troupeau de chèvres et des randonneuses belges

Le troupeau de chèvres m’attend un peu plus haut et décide de m’accompagner jusqu’à La Vare. J’arrive donc à l’alpage entouré d’une quarantaine de biques sonnantes qui n’en font qu’à leur tête, comme à leur habitude, et qui me plaquent aussi soudainement qu’elles étaient venues. Il se met à pleuviner et j’en profite pour m’abriter dans le confortable refuge, en regardant le feu crépiter dans le poêle et en écoutant les gouttes tambouriner sur le toit.

Après une heure et demie de douce somnolence, je me résous à repartir, sous une fine bruine, vers la fameuse Boëllaire et le Col des Essets, à une bonne heure de là. Un brouillard dense cache les montagnes. Du col, on n’est plus qu’à vingt-cinq minutes d’Anzeindaz et du refuge Giacometti.

Le soir, j’essaie d’oublier cette tragédie en dînant en compagnie de six jeunes femmes belges venues se changer les idées dans les Alpes vaudoises, et de trois autres femmes du pays. Je suis le seul hôte masculin de ces lieux. Inutile de semer l’effroi dans cette respectable assemblée en évoquant de sombres histoires de vendetta locales. Je tirerais tout ça au clair demain.

A suivre…

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