Publié le 28 mai 2021
Un gouvernement, cela arrive, peut diriger avec un discours clair, une vision à accepter ou rejeter. Il peut au contraire emmêler les fils jusqu’à n’y plus rien comprendre. Et plonger ainsi le pays dans le marais de la confusion. C’est ce que fait le Conseil fédéral. Avec le sabordage de l’accord-cadre avec l’UE. Et aussi avec le bricolage de sa loi COVID-19.

Date historique. Enterrer d’un coup un accord négocié depuis des années avec nos voisins, c’est une provocation à leur égard. Le faire sans débat parlementaire et sans vote populaire, c’est violer la démocratie.

L’embrouille a été mise en scène avec malice. Qui connaît le dossier sait que les derniers points de divergences sont mineurs et que l’UE était prête à les revoir. En fait, la majorité du gouvernement en est venue à refuser le principe même d’un tel accord. Enfermés dans le mythe de la souveraineté absolue, ces dirigeants s’apprêtent à faire de la Suisse un vassal de l’Union! Que proposent-ils? Aligner «de manière autonome» nos lois sur celles du voisinage. Donc sans contrepartie de droits reconnus. Et aussi lâcher un peu d’argent en espérant quelque bienveillance. Alors qu’il a été dit cent fois à Bruxelles que l’accès au marché unique ne s’achète pas. Le professeur neuchâtelois Thomas Cottier l’explique bien: «Pour une démocratie, reprendre le droit européen sans participation active à son élaboration, c’est se mentir à soi-même.» (NZZ, 26.05.21)

Se moquer du monde

Ce plan B fumeux est indigne pour un pays qui garde quelque fierté. Quand un gouvernement claque ainsi la porte à ses partenaires et demande aussitôt de reprendre «un dialogue politique», on se dit que ces champions de l’embrouille se moquent du monde. Des autres et de nous.

La Suisse qui d’ordinaire ne goûte guère les paris audacieux s’y lance tête baissée. Avec à la clé une foule de problèmes nouveaux. Des tracasseries bureaucratiques de toutes sortes, avec la menace de délocalisations. La gauche découvrira peu à peu les conséquences sociales du sabordage auquel elle s’est honteusement associée. La protection des salaires était mieux assurée avec l’accord que dans le vide. Car la droite dure, elle, se frotte les mains. Elle promet d’imposer restrictions salariales, économies budgétaires et allègements légaux pour «sauver la compétitivité de l’économie».

Ceux qui se sont laisser rouler dans la farine

Comment les entrepreneurs à la recherche d’une relation harmonieuse avec leur plus grand marché extérieur, comment les nombreux cantons désireux d’un voisinage organisé et donc favorables à l’accord, comment cette grande part de l’opinion − majoritaire selon un sondage − souhaitant en finir avec le psychodrame, comment tous ces citoyens et citoyennes qui gardent les pieds sur terre ont-ils pu ainsi se laisser rouler dans la farine?

Farine qui servira à un bouillon fadasse et indigeste. Le mot embrouille dérive du latin populaire brodiculare, faire du bouillon. On est servi.

Une loi d’urgence

Et voilà que l’on en reprend une louche dans quelques jours. Nous dirons donc oui ou non à une loi caduque dite «COVID-19». La version que l’on trouve dans la brochure explicative n’est pas celle en vigueur. Plusieurs articles ont été rajoutés qui s’appliqueront dans tous les cas. Notamment sur le traçage et sur la quasi obligation du vaccin. Enfin et surtout sur le délai de cette loi d’urgence qui court-circuite le Parlement jusqu’à fin 2031! Alors que la France annonce que son propre régime d’urgence prendra fin le 30 juin de cette année… L’article 1 ainsi prolongé est si vaste que l’on peut parler de pleins pouvoirs, bien au-delà des questions sanitaires, pour ces dix prochaines années. C’est invraisemblable. Tellement stupéfiant que le petit monde politique s’en trouve comme paralysé et ne bronche guère. Juste quelques coups de gueule ici et là, puis la pilule passera. Amère. Quant à l’opinion publique, mal informée, sciemment plongée dans l’embrouillamini, elle ne sait pas trop comment réagir. A l’exception de quelques groupes heureusement fort actifs, comme les «Amis de la Constitution» dont nous parlons dans l’article Plongée chez les prétendus «complotistes».

Sur ce sujet dit «sanitaire», il reste des moyens pour contrarier les embrouilles et les manipulations, peut-être un nouveau référendum. Sur la question européenne, d’une grande portée bien qu’elle paraisse plus abstraite, nous nous trouvons démunis. Mais l’heure des comptes viendra. Tôt ou tard les virtuoses de l’embrouille prendront, eux aussi, un bouillon.

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