Le sourire de la présentatrice du TJ au moment du sujet culturel

Publié le 2 avril 2021
Pendant un téléjournal, la présentatrice ou le présentateur égrène différentes sortes de sourires, en fonction des circonstances et des sujets. A la fin des nouvelles dites «sérieuses», arrive celui qui signifie qu’enfin vous allez pouvoir vous détendre avec quelque chose de léger, avec quelque chose qui prête à sourire: la culture. C'est agaçant.

C’est chaque soir le même scénario: le téléjournal commence et vous et moi regardons, forcément, la présentatrice ou le présentateur du jour. Sa coupe de cheveux, la couleur de sa veste et… son sourire. C’est quelque chose, le sourire de la présentatrice, ou du présentateur, du téléjournal. C’est un outil de communication fantastique. Il est là pour instaurer un climat, poser le décor, dérouler le tapis rouge à l’information. Vous dire quelque chose, aussi, en langage non-verbal.

Les sourires des présentatrices et présentateurs de téléjournaux ont leur propre vocabulaire, leurs propres codes. Certains, plus malins ou moins courageux, préfèrent ne pas se risquer sur ce terrain et réservent leur sourire pour les photos de famille. D’autres – des femmes, pour la plupart, allez-savoir pourquoi – le manient avec un plaisir non feint. Mais sans pour autant dégainer n’importe quel sourire, à n’importe quel moment du téléjournal.

Le sourire de bienvenue et celui de transition

Le premier sourire accompagne le fameux «Mesdames, Messieurs, bonsoir», ou équivalent, de bienvenue. Il doit vous aller droit au cœur et s’assurer que vous restiez croché aux lèvres de votre interlocutrice le plus longtemps possible.

Il disparait bien vite pour faire place à la mine grave, de circonstance, qui convient pour parler Covid, politique internationale, politique bernoise, finance et autres sujets dits sérieux.

Le second sourire est le sourire dit de transition: entre deux sujets sérieux, ce petit sourire fugace s’accroche brièvement aux lèvres de la présentatrice, ou du présentateur, avant de retomber: son but est de ne pas vous faire fuir, autant que de ne pas vous faire perdre espoir. Après les catastrophes, après les mauvaises nouvelles, après les sujets ennuyeux, un autre monde vous attend, où l’on pourra à nouveau sourire, pour de vrai, de toutes ses dents. Patience.

Le sourire de la détente

Le troisième sourire est le plus intéressant. Il arrive à la toute fin du téléjournal, lorsqu’il ne reste, au mieux, que cinq minutes. C’est à ce moment qu’arrive enfin ce mot magique de «culture». Il est généralement placé dans l’expression: «Une page de culture maintenant !» et annonce que l’on va vous parler, indifféremment, d’une exposition de peinture, d’un documentaire sur les animaux, d’une pièce de théâtre, d’un livre de philosophie ou de New Romance, d’un opéra, de marionnettes pour enfants, d’un jeu vidéo, de musique jazz ou de toute autre sujet que l’on peut placer sous cette étiquette passe-partout et bien pratique. Il est alors prononcé avec un immense sourire. Epanoui, sincère, contagieux. Il vous signifie qu’enfin, vous pouvez vous détendre. Fini le pensum des infos sérieuses, fini l’actualité du monde qui ne tourne jamais rond, passons enfin à quelque chose léger, qui prête à… sourire.

Ce sourire est incroyablement agaçant.

Il est d’une condescendance infinie, laissant entendre qu’après les trucs de grandes personnes, le plat de résistance, les sujets dits culturels comptent moins que les autres, occupant surtout une fonction de divertissement en fin de téléjournal.

Il laisse entendre que la culture, c’est drôle. Une activité légère, marrante et futile. La cerise sur le gâteau, la gâterie d’avant le dodo. Parfois, pas de chance, l’exposition ou la pièce de théâtre en question parlent cancer, esclavage, migrants, inceste : ce sourire tombe alors complètement à plat et s’agit de vite le refermer en lançant le sujet.

Pourquoi ne pas bouleverser la hiérarchie de l’information? 

Les quotidiens 24 heures et Tribune de Genève ont fait leur révolution culturelle il y a peu en remontant leurs pages dites «locales» en ouverture de journal, conscients que la valeur ajoutée de leurs journalistes se trouvait dans le traitement de ces sujets, autant que de l’intérêt prioritaire de leur lectorat pour ces sujets de proximité par rapport aux pages internationales, voire même nationales. Pourquoi les journaux télévisés placent-ils immanquablement la culture à la fin? Qu’attendent-ils pour faire exploser la sacro-sainte et traditionnelle «hiérarchisation de l’information»? Pourquoi cette hiérarchie ne tiendrait-elle pas compte de la diversité des téléspectateurs – pour certains, les tensions diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis peuvent attendre les cinq dernières minutes, tandis que l’annonce de la sortie d’un inédit de Leonard Cohen changera le cours de leur semaine. Pourquoi ne pas alterner les ouvertures de journaux? On parle inclusivité et langage épicène: donnons à tous les publics des JT l’occasion de se sentir «inclus» dans cette grande messe de l’information quotidienne, si l’on veut qu’elle le reste!

Lorsqu’on sait à quel point les artistes en particulier, et les acteurs culturels en général, se font l’écho de tous les courants qui traversent nos sociétés, heureux ou malheureux, actuels ou intemporels, intimes ou collectifs, révolutionnaires ou conservateurs, c’est la place du roi que l’on devrait donner à leurs actualités et productions. Avec le sourire, ou sans, cela n’aurait alors plus d’importance.

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