Voyager: ce nouveau péché

Effet collatéral du virus: il donne le vertige aux dirigeants politiques. Devant les menaces de ses mutations diverses, c’est à qui proposera les mesures les plus dures. Le premier ministre grec a proposé à ses collègues de l’UE d’introduire au plus vite l’obligation d’un «passeport vaccinal» pour passer les frontières intérieures du continent. On lui a fait remarquer qu’il faudra de longs mois pour que les populations soient largement vaccinées et que les produits utilisés, s’ils protègent la personne qui s’est fait piquer, n’empêchent pas à coup sûr la transmission du virus. Va-t-on vers une discrimination entre les gens pressés et les retardataires? Mais voyez, nous objecte-t-on, certains pays exigent la vaccination contre la fièvre jaune! Nuance: cette maladie tropicale, lorsqu’elle se déchaîne, tue infiniment plus que la Covid-19 et dans toutes les tranches d’âge.
L’idée s’installe: il y aura à l’avenir les «bons» citoyens acquis à Pfizer et Moderna, et les «coupables» qui se posent encore des questions sur cette solution-miracle.
Le premier ministre belge a une autre idée: interdire les voyages «non-essentiels». Qui tranchera? Les Etats bienveillants, si attentifs déjà à trier nos besoins et nos envies, à encadrer nos libertés ratatinées. La présidente de la Commission européenne est allée dans ce sens. Elle déconseille vivement les déplacements touristiques. Travailler à travers les frontières, faire circuler les camions, d’accord, mais aller prendre l’air dans le pays voisin, non! Quant à la chancelière allemande, elle fronce aussi les sourcils. Son discours en résumé: si vos chiffres sont plus mauvais que les nôtres, n’entrez pas, on tirera le rideau.
On peut discuter à l’infini de l’efficacité de ces propositions pour enrayer la pandémie. Mais quoi qu’il en soit, il est permis de s’interroger sur ce qu’elles disent de nos mentalités. Se raccrocher aux frontières dans les moments de désarroi, c’est si rassurant. Comme désigner le Bien et le Mal, dans une époque où la religion et les vieilles idéologies qui s’en chargeaient autrefois sont aujourd’hui essoufflées.
Ainsi donc, le tourisme, c’est mal. Que ce soient des Grecs qui le disent alors qu’ils en vivent, que ce soient des Belges, imbriqués plus que d’autres dans leurs voisinages qui le prétendent, c’est un comble! Puissent les Suisses, qui vivent si largement de leurs échanges humains et économiques internationaux, ne pas les rejoindre. Passeport vaccinal, obligation des tests, tri des motivations du déplacement… Tous ces blocages, déjà instaurés ou à venir, tournent à la frénésie. On peut y voir comme une pulsion… suicidaire. Pour limiter le nombre des morts, surtout de vieilles personnes déjà malades qui sont effectivement à protéger, on est prêt à étouffer une foule d’activités, à plonger dans la détresse économique, à refuser des visiteurs non conformes, à s’enfermer à la maison, à renoncer aux fêtes, à se priver d’évasions. Tout cela dessine un portrait sinistre de notre société.
Les Européens d’autrefois, ceux d’avant 1914 qui sillonnaient le vieux continent sans même un pièce d’identité rient de nous du fond de leurs tombes.
Cet article paraît simultanément sur le site de nos confrères tessinois de il Caffé
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