Ceux qui, au cœur de la disgrâce, célèbrent la beauté du monde

Publié le 21 août 2020
Du journal de confinement de Germinal Roaux, «Revoir le printemps», qui a clôturé le festival de Locarno, au documentaire de Stéphanie Pillonca, «Laissez-moi aimer», consacré à la pratique de la danse intégrant des handicapés, ou des lettres de prison de Rosa Luxemburg à l’émerveillement d’Alexandre Soljenitsyne devant la splendeur de la nature: même joie profonde et rayonnante, qui a de quoi revigorer…

Quel rapport entre la repousse d’une frêle fleur blanche dans une chambre confinée, en avril dernier, la cavalcade soudaine sous l’orage de quelques vaches semblant battre des ailes comme des anges à gros culs, deux jeunes homosexuels (dont un handicapé à gestes de crustacé fébrile et sourire hilare) enlacés sur un banc du jardin parisien des Tuileries et se roulant des pelles sans se cacher, un champ d’oliviers aux troncs torsadés, une trisomique au crâne rasé dansant en tenue légère de fille-fleur et le vieux Soljenitsyne dans le sous-bois d'une forêt moscovite – quel autre lien que l’exclamation de ce témoin dantesque des enfers du XXe siècle: «Comme le monde est beau!»
Pendant que le monde en question se trouvait confiné et comptait ses morts, en avril dernier, le poète de cinéma Germinal Roaux filmait des fleurs et des nuages avec son smartphone, filmait un agneau pascal endormi dans l’herbe, filmait son ombre par terre aux yeux de petites fleurs blanches, filmait la percée du soleil dans les hautes frondaisons touchant le ciel, filmait le vent et son violent tumulte, filmait l’éclosion en gloire des fleurs de cerisiers, filmait l’eau déferlante d’un ruisseau, filmait sa propre allégresse de filmer l’éveil du printemps à valeur de retour à la simple vie. On dit volontiers, à ce propos, que le grand art est le plus simple. Or les 16 minutes de Revoir le printemps relèvent, à mes yeux, du grand art.
La voix douce de Germinal nous interpelle d’emblée comme en confidence, et chaque image, chaque plan enchaîné au précédent comme par une mélodie, chaque séquence étoffe son propos déclaré par ces simples mots fleurant la candeur: «Je vais essayer de montrer quelque chose de beau, quelques chose qui réconforte». 
A New York, dans les quartiers les plus durement touchés par...

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