En quoi l’Europe a-t-elle changé?

Publié le 22 juillet 2020
Le sommet interminable, confus et rude de Bruxelles marque une étape, historique ou pas, que l’on ferait bien de ne pas accueillir avec haussements d’épaules ou ricanements. La solidarité européenne a progressé. Pour la première fois, l’UE s’endette en son nom et assumera cette charge collectivement. Une part de cette somme sera donnée aux pays les plus touchés par la pandémie, une autre sera fournie sous forme de prêts. Le club des «radins», dits aussi «frugaux», a réussi à faire baisser ces montants, mais sur le fond, ces euro-réfractaires ont perdu la partie. En termes politiques, qu’en retenir?

On gardera en tête ce spectacle des Européens qui ont l’art de se chamailler, de se diviser et finissent par se rabibocher. Comme souvent. L’UE a un idéal, mais au quotidien elle est bien forcée de s’enfoncer dans les méandres du pragmatisme.

On se souviendra de l’obstination à sauver l’essentiel chez Emmanuel Macron et chez Angela Merkel qui a su convaincre ses propres «radins». Tous deux ont su entraîner la plupart des membres, puis amener les râleurs à finalement plier.

Le mépris des «frugaux» pour le Sud

Ces dirigeants «frugaux» ne sont pas honorés. Le mépris qu’ils ont affiché à l’endroit des pays du Sud était puant. Leur façon de se poser en modèles de bonne gestion et de voir les autres comme des cancres était pour le moins simpliste. Faut-il rappeler que l’Italie a toujours été un contributeur net de l’UE? Le plan doit panser les blessures de la crise. C’est un fait que l’Italie et l’Espagne ont plus de victimes, qu’elles souffrent plus que d’autres de l’effondrement du tourisme. Les vacanciers s’y rendent davantage qu’à Helsinki ou Copenhague! Le chef de file du club, le Néerlandais Mark Rutte, têtu et habile négociateur, a tout fait pour que le sommet capote. Lorsqu’il lui fut accordé de baisser les subventions de 500 à 400 milliards, il a encore bataillé des heures pour raboter dix milliards. Par amour-propre. Piteux. Même les brasseurs d’or croqués par les peintres néerlandais des 16e et 17e siècle paraissent plus sympathiques que ce matamore de la pingrerie.

Pourquoi ces pays qui ont tant de peine à jouer le jeu européen restent-ils dans l’Union? Parce qu’ils en retirent toutes sortes d’avantages, à commencer par le marché unique dont les Hollandais notamment savent si bien profiter. Parce qu’ils savent aussi à quels tracas conduisent les velléités de sortie. La pétaudière britannique est là pour le leur rappeler. Mais peut-on espérer qu’un jour ils comprennent, comme la plupart des autres, que seule une Europe forte nous protégera face aux défis mondiaux? Constater que chez ces gouvernants réfractaires, nombre d’entre eux sont socialistes et verts, ce n’est pas glorieux pour la gauche gestionnaire qui a oublié depuis longtemps le mot internationalisme.

Quant aux pays dits de l’Est, ils ont approuvé le plan. Ils tiennent trop aux soutiens structurels qui ont déversé et déversent encore chez eux des centaines de milliards pour la reconstruction post-communiste. Le seul point qui les titille: que l’on ne se mêle pas de leurs atteintes à la liberté des médias et de la justice. Ce n’était pas le sujet. Mais ils ne perdent rien pour attendre.

Ce que cela signifie pour la Suisse

Et la Suisse? Qu’a-t-elle à retenir de ce bond en avant de nos principaux partenaires? D’abord le bénéfice de voir des pays clients tenter de sortir du marasme. Mais un fait n’a pas été abordé chez nous. Tôt ou tard, si nous voulons garder des liens étroits avec l’UE, en garder tous les avantages, on nous tendra une petite addition. «Nous faisons un effort pour le bien commun du continent, faites-en un aussi! Aidez les autres!»

Cela fera grincer des dents. Et à la fin, nous dirons oui, comme nous l’avons fait pour les soutiens à l’Est. Ce qui donnera la jaunisse aux nombreux sympathisants helvétiques des «radins». Ce week-end, la RTS a informé sur le sommet par de brèves interventions de l’excellente correspondante sur place. Mais à qui Darius Rochebin a-t-il demandé un commentaire samedi soir? Non pas à l’un des nombreux experts suisses ou européens qui connaissent la question. Le duplex a eu lieu non pas avec Bruxelles mais avec… les Diablerets! Où le conseiller aux Etats Olivier Français passe ses vacances. Ce parlementaire s’intéresse de très loin à l’Europe où il ne voyage quasiment jamais. Mais son idéologie lui suffit. Il affirma haut et fort que les «frugaux» de Bruxelles ont toute sa sympathie et bien raison de préférer les prêts aux subventions. Quitte à enfoncer les pays du Sud dans leurs difficultés. Triste provincialisme.

Cette petitesse ne nous empêchera pas de saluer le nouveau visage de l’Europe, plus ouverte à la solidarité qu’elle ne le fut jamais. Pas aussi grande que le souhaitaient la plupart des membres. Mais réelle. Une bonne nouvelle, c’est permis par les temps qui courent?

 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat
Accès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Et si on parlait du code de conduite de Nestlé?

Une «relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée» vient de coûter son poste au directeur de Nestlé. La multinationale argue de son code de conduite professionnelle. La «faute» semble pourtant bien insignifiante par rapport aux controverses qui ont écorné l’image de marque de la société au fil des ans.

Patrick Morier-Genoud

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

Stop au néolibéralisme libertarien!

Sur les traces de Jean Ziegler, le Suisse et ancien professeur de finance Marc Chesney publie un ouvrage qui dénonce le «capitalisme sauvage» et ses conséquences désastreuses sur la nature, le climat, les inégalités sociales et les conflits actuels. Il fustige les dirigeants sans scrupules des grandes banques et des (...)

Urs P. Gasche
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

La loi du plus fort, toujours

Le mérite de Donald Trump est d’éclairer d’une lumière crue, sans fioritures, la «loi du plus fort» que les Etats-Unis imposent au monde depuis des décennies. La question des barrières douanières est le dernier avatar de ces diktats qui font et firent trembler le monde, au gré des intérêts de (...)

Catherine Morand

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani
Accès libre

Comment la famille Trump s’enrichit de manière éhontée

Les deux fils du président américain viennent de créer une entreprise destinée à être introduite en bourse afin de profiter de subventions et de contrats publics de la part du gouvernement fédéral dirigé par leur père.

Urs P. Gasche