A l’école des soumis

Après des semaines où nous sommes réduits à l’état de moutons suivant le berger, le risque existe qu’une fois le troupeau autorisé à s’égailler, les meneurs soient tentés de décréter encore et encore des restrictions, plus ou moins justifiées. Ils nous y ont préparés. D’autant plus qu’en l’occurrence les médias martèlent et répercutent les messages officiels dans un vacarme envahissant et assourdissant. Sans quasiment laisser affleurer les questions qui dérangent.
Y aurait-il donc, au fond de nous, quelque attente jusqu’à présent inconsciente, de nous soumettre à un pouvoir fort? Une propension à l’allégeance aveugle? Comme on l’a vu dans d’autres pays et d’autres circonstances. L’occasion est là de touiller dans les profondeurs de nos réflexes collectifs.
Personne ne peut dire qu’une autre stratégie aurait été meilleure. Mais il est absurde de fermer les yeux sur le fait qu’il y en a d’autres, en Asie mais pas seulement, qui donnent de bons résultats. S’interroger sur le mécanisme qui a conduit à ces décisions, c’est une curiosité civique nécessaire. Qui nos Sages ont-ils écouté? La compétence et l’honnêteté du célébrissime Daniel Koch ne sont pas en cause. Et autour de lui? Ses services, sollicités par nos confrères de Infosperber, ne donnent aucune indication sur les experts consultés. Sont-ce les plus attentifs? Pas sûr. La NZZ vient de révéler, dans une enquête accablante, le fossé entre l’administration et certains chercheurs de pointe. Tel l’épidémiologiste bernois Christian Althaus qui dès le 21 janvier, suivant les nouvelles de Chine, avait prévu le pire… et aussitôt vendu toutes ses actions avant le krach pour sauver ses économies. Il alerta les autorités sanitaires mais ne fut pas entendu. Trois jours plus tard, Daniel Koch déclarait: «Pour le moment, en Europe, il n’y a aucun danger ou un très faible danger.» Et tout a tardé. Le dialogue entre cette équipe de chercheurs, dont le professeur de l’EPFL Marcel Salathé, n’est toujours pas rétabli avec le cabinet du palais.
Quant aux détails des mesures prises au sommet, on n’en finit pas de s’ébaubir. On peut vendre des légumes, mais pas de fleurs. Seuls les produits et services indispensables – qui diable a la légitimité d’en juger? – sont autorisés. Résultat: à la Poste, on peut envoyer une lettre mais pas acheter une enveloppe! Dans les grands magasins, oui à la nourriture mais pas question d’acheter une casserole…
Ainsi donc les coiffeurs pourront rouvrir avant les librairies. Plus dangereux d’acheter un bouquin que de se faire tripoter le crâne? Feu vert avancé aussi pour les soins corporels et les massages. Massages? Attention! Sur le haut du corps. Parce que si des mains s’égarent vers le bas, peut surgir non seulement un membre mais une infraction à l’interdiction de l’érotisme marchand… Le pouvoir veille à nous jusqu’au fond du slip. Les absurdités administratives, elles, n’ont pas de limites. Quant à la com’, elle nous bombarde de chiffres, s’adresse à nous comme à des enfants et fait monter la panique. Le Surveillant en chef à la mine lugubre donne envie de s’enfuir à la cave quoi qu’il dise! Tandis qu’en Allemagne, son équivalent sait encore sourire, rassurer, dédramatiser, relativiser.
De tout cela, les médias parlent peu, à quelques exceptions près. Non pas tant que les journalistes manquent de curiosité – cela arrive… – mais parce que les interlocuteurs mesurent à l’extrême leurs propos. Quiconque critiquerait le gouvernement passerait pour un malotru au mieux, pour un traître à la patrie au pire.
La docilité posée en principe débouche en outre sur d’odieux comportements. La délation. Les photos que prennent des citoyens vigilants pour dénoncer deux quidams trop proches sur un banc. En France, c’est pire. La police vient d’annoncer qu’entre 50 et 70 % des appels qu’elle reçoit sont des dénonciations d’insoumis, de rebelles promeneurs.
Ce qui limite aussi le débat, c’est le peu d’informations et de reportages à la RTS sur ce qui se passe dans d’autres pays, en Allemagne ou à Taiwan, en Espagne ou en Afrique. La docilité civique dérive vers le nombrilisme national. Alors qu’il importe plus que jamais de «garder les yeux ouverts et le droit de critiquer», comme le rappelle Denis Masmejan, secrétaire de Reporters sans frontières.
En Suisse les médias restent libres mais ils laissent le sujet envahir tout l’espace, sans guère de recul, obnubilés par les communications officielles. Nous avons désormais un Père de la Nation, Alain Berset. Virtuose dans l’art de dire ni oui ni non, de briller dans le flou (d’ailleurs compréhensible). Il restera dans l’histoire avec sa phrase qui fait le tour des réseaux jusqu’en France: «Aussi rapidement que possible, aussi lentement que nécessaire». Mais ne pourrait-il pas insister davantage sur les dégâts de santé que provoquera un arrêt prolongé des activités économiques? Le tourisme est en panne pour des mois. L’industrie souffre du manque soudain de commandes. Le chômage de longue durée s’installe. La détresse sociale plus encore. Le cortège des désespoirs et des dépressions peut faire plus de malades et de morts que le virus. Ceux-ci, on ne les comptera pas chaque soir à la télé.
Quant à sa collègue Simonetta Sommaruga, elle a tort de se moquer de nous, même avec son sourire gentillet. Pour nous récompenser, citoyens et citoyennes si obéissants, elle nous accorde une prolongation d’un mois de la taxe radio/TV (30 francs). Une aumône risible. Que l’on attende ou pas une aide de l’Etat, à l’aune du drame, un tel geste, présenté comme «une bonne nouvelle» après les mauvaises, a quelque chose d’humiliant. Et hop! Au passage Madame accorde 50 millions de plus à la SSR, mais pas un kopeck aux médias hors du système étatique. Enfin l’autre «Sage», un incertain Parmelin, il se ridiculise en mettant en garde les restaurateurs aidés contre «l’oreiller de paresse».
Cela dit, pour en terminer sur une note politique, ne laissons pas l’UDC grommeler. Ses objectifs et ses manoeuvres sont assez évidents pour que l’on ne se branche pas sur Télé-Blocher qui continue d’abreuver ses fans.
Le discours politique patine. Quelques libéraux-radicaux froncent les sourcils, défendent le petit commerce et veulent en assouplir les règles. Les socialistes, soucieux à juste titre de la protection des travailleurs, sont d’une prudence de Sioux sur la nécessaire et urgente reprise des activités économiques. Ils ressortent leurs recettes, augmentation des salaires, investissements publics accrus. Credo contre credo. Quant aux écolos, il rêvent à haute voix du monde meilleur et plus sain qui arrivera. Des progrès sont sans doute possibles. Mais de grâce, pas au prix de la paupérisation et du ratatinement mental.
C’est donc à chacun, à chacune d’entre nous, de dire non à la soumission muette, oui au libre débat, oui à la responsabilité individuelle. Bref, oui à la liberté.
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