«Orléans»: critique d’un admirateur assumé

Publié le 10 octobre 2019
Des polémiques à rallonge ont entouré la sortie du nouveau roman de l’écrivain français Yann Moix. Mais «Orléans» est un ouvrage qui mérite d’être traité sur le plan purement littéraire. Celui-ci s’impose comme œuvre à part entière, jouant, comme l’autorise son statut de roman, avec les indices du réel et les licences de la fiction. Pour autant, Moix le narrateur n’aurait sans doute pas dû se réclamer de son «moi» réel. Critique d’un admirateur assumé de l’artiste.

«Parmi les galaxies, quand le monde humain ne sera plus, que Wagner ne se distinguera plus du silence, que les tragédies et les commotions se seront tues, que l’histoire sera scellée dans la crypte du néant, on distinguera peut-être le chant lamentable des enfants qui furent.»
Qui a déjà lu Yann Moix sait que du Moix écrit, c’est du Moix oral en mieux. N’y voyez aucune allusion à son film Grand Oral ni aucune connotation sexuelle: son truc à lui, c’est la littérature. Orléans, je l’ai lu après m’être rappelé que j’avais dévoré Rompre, son précédent roman, et Terreur, son essai sur le terrorisme sorti en 2017. C’est que l’homme fait partie des génies de la forme dans le paysage littéraire francophone actuel. Et, comme le disait Victor Hugo, «la forme, c’est le fond qui remonte à la surface». Entrer dans Yann Moix, c’est donc entrer dans la puissance d’une prose qui bouleverse par sa profondeur. Est profond celui qui saisit avec une grande et inédite justesse tout le mystère du quotidien, de notre rapport au monde. L’humain, toujours l’humain.
«En levant le nez dans le froid métallique, on apercevait des frondaisons de lucioles fixes au fond du ciel. Les étoiles ressemblaient à de fins éclats de glace pilée. La voie lactée aspirait dans son silence lointain le vacarme de la ville. […] La nuit du ciel, placée au-delà des événements, provoquait en moi un intense besoin de renouvellement. Je rêvais de sortir de l’enfant monotone que j’étais, dans lequel j’étouffais, pour me transformer en poney, en planète – en genou.»
Fatalement, il a fallu qu’un feuilleton médiatique entoure la sortie du roman paru aux éditions Grasset. D’abord, la polémique familiale. Yann Moix affirme avoir subi les coups de son père étant enfant, ce que ce dernier a nié, bien qu’il admette lui avoir inf...

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