«Pour moi ça pue»

Ce gamin du gris quartier de Zurich-Seebach a toujours rêvé des planches. Il quitta tôt le gymnase pour y monter et faire une immense carrière. Il a raconté un jour à la NZZ qu’un mot l’a marqué. Il jouait dans un cabaret-théâtre, le Cabaret fédéral, un spectacle sur un voyage scolaire dans les montagnes suisses. Hissé sur une échelle, il contemplait le paysage et lâchait: «Mir stinkt’s», «ça pue pour moi». La phrase l’a accompagné toute sa vie, disait-il, comme pour exprimer sa distance, son scepticisme, son regard toujours critique.
Qu’est-ce qui fait un tout grand acteur? Cette densité, cette profondeur, cette blessure. Autant que le talent et la gueule qui retient les regards. Ganz a été follement admiré pour cette authenticité. Ce fils d’un père ouvrier et d’une mère au foyer italienne ne s’est jamais révolté contre son milieu, mais il a brûlé d’une flamme particulière. Il est mort chez lui, tout près du lieu de son enfance. Mais il avait besoin aussi du large. Il a vécu à Berlin, passé du temps dans son appartement de Venise («j’aime les villes qui ne changent pas trop»). Il ne dédaignait pas la gloire mais s’en méfiait. «Moi une star? Le jour où je prendrai ce mot au sérieux, je claquerai.»
Grâce au cinéma, il ne nous quittera pas. Dans son rôle légendaire d’Hitler, dans le film La Chute, dans celui de Bloch, le marchand de bétail tué dans Un Juif pour l’exemple de Jacob Berger, dans Nosferatu de Werner Herzogs, plus récemment dans Der Trafikant de Nikolaus Leytner, et tant d’autres…
Quand on relit ce qu’il a pu dire à diverses reprises sur sa ville, on se met à aimer Zurich. Populaire, mélangée. Si loin de l’image mythologique de la Suisse. «Elle n’est pas une tache blanche sur la carte. Elle est mêlée aux autres pays.» Bruno Ganz ne parlait jamais pour ne rien dire.
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