Un désastre allemand: la Deutsche Bank

Publié le 22 juin 2017
Les connaisseurs de la finance savent depuis longtemps que la Deutsche Bank est plombée par ses égarements dans les échafaudages douteux. Le grand public, lui, n’arrive pas à y croire. La Grèce, l’Italie, d’accord, on sait qu’au sud les banques ne vont pas bien. Mais en Allemagne! Arte vient de diffuser un documentaire où les principaux responsables passent à table. C’est accablant. Inquiétant pour tout le système bancaire international.

La plus grosse banque allemande a bouclé 2016 avec 6,8 milliards d’euros de perte. Et voilà que cette année, les autorités américaines lui collent 7 milliards d’amende pour avoir donné tête baissée dans le scandale des subprimes. Trois iront à l’Etat, quatre aux emprunteurs privés de leur maison et à des plans de logement sociaux. «Ce n’est pas une punition, ose dire le président du conseil d’administration, mais une contribution solidaire à un problème social.» Paul Achleitner est obsédé par le problème d’image. «Nous faisons tout pour redresser la situation mais si l’opinion publique perd de vue que nous soutenons l’économie, si elle nous lâche, nous n’y arriverons pas.» La méfiance est un poison mortel pour une banque.

Pour la première fois, la Deutsche Bank (DB) a ouvert ses portes aux journalistes et répondu à toutes les questions. Les chiffres sont là. De tous les grands établissements bancaires européens, elle a le plus faible taux de fonds propres (3%), la plus grande part de produits dérivés opaques et dangereux (30%), le rendement le plus bas.

Comment en est arrivé là cette enseigne vieille de 150 ans, d’abord spécialisée dans le crédit aux exportations, capable de financer à la fin du 19ème siècle la construction d’un train Hambourg-Bagdad? Elle a longtemps prospéré grâce à sa proximité des industriels, des commerçants, des clients privés. Mais au seuil des années 90, elle changea de cap, elle donna la priorité à la banque d’investissements, fixée sur l’ambition de rivaliser avec les grandes américaines.

L’homme-clé de cette fuite en avant, brutalement interrompue par la crise 2008, est le Suisse Jo Ackermann, un ancien du Crédit suisse, colonel, à la DB depuis 2002, grand patron de 2006 à 2012. Il s’est déboutonné pour Arte. Il déclare que la grande maison s’est lancée dans la haute finance internationale avec peu de compétences. Il y a chez ce cynique au visage poupin comme une trace de naïveté. Mais il va bien, merci. Après son départ, il a présidé pendant un an la Zurich Assurance avant de devoir démissionner. Il est aujourd’hui président de la Banque de Chypre.

Le plus effarant, dans les témoignages recueillis, c’est ce gros aveu. La prestigieuse Deutsche Bank a certes versé des bonus vertigineux mais peu investit dans l’outil de travail. Plusieurs systèmes informatiques, souvent archaïques, se chevauchent à tel point qu’aujourd’hui encore il est difficile aux dirigeants de voir clair dans tous les dossiers. Le service juridique est submergé de plaintes diverses et patine dans leur traitement. Un syndicaliste résume: «De l’extérieur on voit une superbe Porsche, mais le moteur est dépassé, une machine à vapeur sous le capot!»

La direction actuelle, totalement renouvelée, s’acharne à sauver les meubles, à revenir sur le terrain des réalités économiques. Le secteur de la clientèle privée est à nouveau rentable. Il n’empêche que tout le monde, en Allemagne, se demande si l’Etat devra sauver la banque. Un effondrement ébranlerait tout le pays. Et bien au-delà.


A voir sur Arte: Qui a peur de la Deutsche Bank?

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