Pavese, notre ami fragile, nous attend à l’«Hôtel Roma»

Publié le 25 octobre 2024
Merveille de sensibilité mimétique, de substance documentaire et de justesse d’expression dans son approche d’un grand écrivain retrouvé à l’été (1950) de son suicide, l’ouvrage de Pierre Adrian restitue à la fois les aspects contradictoires de la personne, complexe et combien âprement attachante, et le génie du poète, avec ses racines piémontaises et de constantes et pertinentes références à ses œuvres relues.

Il y a des gens, comme ça, à de certains moments particuliers, que vous éprouvez l’irrépressible besoin de prendre dans vos bras, et cette impulsion soudaine se trouve précisément exprimée par le jeune écrivain français Pierre Adrian, à la fin de son Hôtel Roma, dans ces lignes marquant la fin d’une intense recherche menée par lui sur les traces d’un des plus grands auteurs italiens du XXème siècle, en la personne de Cesare Pavese: «Je m’attachais à l’homme à mesure que je l’accompagnais vers la mort. Il me semblait, à retracer pointilleusement ses derniers jours, escorter un jeune condamné. Je voulais lui taper sur l’épaule, peut-être même le pendre dans mes bras. Oui, je voulais prendre Pavese dans mes bras. Dans ma tête, je le dessinais d’après les images que j’en avais. Pavese marchait les épaules rentrées, en bras de chemise, le dos suant, les yeux gênés par la lumière, les souliers usés, la pipe entre paume et pouce, une petite valise dans l’autre main, Pavese s’épuisait en vagabondant dans sa ville poussiéreuse, ses odeurs saturées de quais de gare, d’arrière-cuisines mal ventilées, sa couleur ballast, son ciel fouetté par les câbles des tramways où, pour mettre un peu de gaîté, on voudrait pendre du linge bariolé. Je le dessinais sans couleurs, me fiant à une confidence d’Ernesto Ferrero, l’écrivain qui disait de Pavese qu’il était un homme en noir et blanc»…
Du noir et autres couleurs
Ce  «noir et blanc» ne laisse d’évoquer toute une époque, à l’évidence, et c’est à la fois la «couleur» du néoréalisme italien, faisant écho aux romans américains plus ou moins «noirs» qui ont fasciné le jeune Pavese, grand lecteur par ailleurs de Walt Whitman et futur traducteur (faisant autorité aujourd’hui encore) de l’immense Moby Dick, baleine à long sillage blanc dans la mer...

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