Les Etats-Unis aussi enquêtent et légifèrent sur les «agents étrangers»

Publié le 31 mai 2024
Les critiques contre la «loi sur les agents étrangers» en Géorgie sont vives, surtout en Occident où l’on estime qu’elle suivrait un modèle russe, entachant la souveraineté de l’Etat du Caucase. Pourtant, les Etats-Unis ont depuis longtemps des pratiques similaires, arguant qu'il est de leur devoir de savoir qui fait quoi sur leur territoire. Explications.

Urs P. Gasche, article publié sur Infosperber le 17 mai 2024, traduit par Bon Pour La Tête


Le Parlement géorgien a adopté récemment une loi controversée intitulée «Transparence de l’influence étrangère», selon laquelle les ONG sont qualifiées d’agents d’influence étrangère si plus d’un cinquième de leurs revenus provient de l’étranger. Certaines organisations non commerciales n’ont jusqu’à présent pas déclaré de manière transparente les fonds qu’elles reçoivent de l’étranger.

Les organes gouvernementaux, les services secrets, les think tanks et les fondations financent régulièrement des ONG, des think tanks ou des fondations amis à l’étranger afin d’y exercer une influence sur la société et la politique. Il n’est donc pas rare qu’un Etat tente au moins de faire la lumière sur les financements venus de l’étranger.

Il est difficile de comprendre pourquoi une telle loi en Géorgie devrait faire obstacle à une adhésion à l’UE, comme l’écrit la NZZ. Tout comme il est difficile de comprendre pourquoi cette loi mettrait l’UE «dans une situation délicate», comme le titrent les journaux de Tamedia.

Dans une démocratie, rien ne devrait s’opposer à la transparence. Officiellement, les organisations cofinancées par l’étranger ont souvent pour objectif de promouvoir la démocratie, les droits de l’homme, les questions sociales, la culture ou l’environnement. Cela ne devient problématique que lorsque ces organisations financées par l’étranger sont arbitrairement entravées ou interdites dans leurs activités.

Cependant, des ONG ont parfois été soutenues par l’étranger pour renforcer l’opposition dans un pays dans le but de favoriser un changement de régime. Il s’agit alors d’actions de subversion et de déstabilisation, voire d’espionnage.

Le modèle américain

Aux Etats-Unis, une «loi sur les agents» est en vigueur depuis longtemps. La loi sur l’enregistrement des agents étrangers (Foreign Agents Registration Act, FARA) impose une obligation de déclaration. Si une organisation est considérée comme un «agent étranger» au sens du FARA, elle doit s’enregistrer et fournir des rapports réguliers sur ses activités et ses financements. Cela permet d’assurer la transparence et d’éviter toute influence déloyale de l’étranger.

La loi américaine définit les «agents étrangers» comme des individus ou des entités qui exercent des activités de lobbying ou de représentation d’intérêts aux Etats-Unis pour des gouvernements, des organisations ou des personnes étrangères («mandants étrangers»). Ils doivent s’enregistrer auprès du ministère de la Justice (Department of Justice) et déclarer leurs relations, leurs activités et les rémunérations financières qui y sont liées. L’objectif est d’instaurer la transparence sur l’influence étrangère sur l’opinion publique, la politique et les lois américaines. Depuis 2016, le nombre d’enregistrements a augmenté de 30%. En novembre 2022, plus de 500 «agents étrangers» actifs étaient enregistrés auprès du FARA. Les organisations telles que les ONG peuvent s’enregistrer elles-mêmes.

Le gouvernement américain peut surveiller les organisations non enregistrées et vérifier si leurs activités peuvent être soumises aux exigences du FARA. Le gouvernement prend sa décision sur la base de rapports publics, de l’examen de documents financiers et, le cas échéant, d’enquêtes.

Les «agents étrangers» enregistrés aux Etats-Unis sont répertoriés et peuvent être consultés sur le site web du Département de la Justice. The Nation a ainsi constaté en avril 2023: «Dans les années à venir, le ministère de la Justice va probablement se référer de plus en plus souvent au FARA et aux règles relatives aux agents étrangers, notamment pour cibler les militants anti-guerre et les mouvements qui critiquent la politique étrangère des Etats-Unis».

Quelques exemples d’«agents étrangers» aux Etats-Unis

Diverses entreprises de médias étrangères: CGTN America, China Daily, China Global Television Network, RT (TV network), Sing Tao Daily, Xinhua News Agency.

Le cabinet d’avocats international DLA Piper: DLA Piper est actif dans 40 pays et réalise un chiffre d’affaires de près de quatre milliards de dollars.

Searby PLLC, un cabinet d’avocats à Washington, qui a notamment des mandats du WWF Grande-Bretagne.

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