Publié le 3 mai 2024
L’histoire douloureuse de mon ami Jean-Louis Porchet, producteur, grande figure du cinéma romand, vaut d’être racontée.

Quel parcours pour cet autodidacte fou de cinéma, travailleur acharné, si bellement doté d’empathie créatrice! Ces trente dernières années, son entreprise, sise à Lausanne, CAB-Productions, a permis à de nombreux cinéastes, locaux et internationaux, de s’exprimer librement. Tournant en Suisse, avec des comédiens, des techniciens d’ici et d’ailleurs. De Francis Reusser à Dominique de Rivaz, d’Alain Tanner à Jean-François Amiguet, de Marcel Schüpbach à Pierre-Yves Borgeaud, de Greg Zlingski à Olivier Assayas, de Benoît Mariage à Claude Chabrol, et tant d’autres. Dernier en date, Roman Polanski. Avec le tournage à Gstaad de The Palace, en coproduction avec l’Italie et la Pologne.

Lié d’amitié avec cette grande figure du cinéma européen, Porchet a tout fait, trois ans durant, pour que ce film se fasse. Contre vents et tempêtes. Face aux campagnes des ultra-féministes qui rabâchent et déforment une histoire vieille de quarante ans, aux Etats-Unis, impliquant une jeune fille qui aujourd’hui est dans les meilleurs termes avec le prétendu coupable. L’offensive «wokiste» a mis Polanski au ban. En Suisse comme en France, aucun soutien public n’a été apporté au film. Une fois terminé, au début de cette année, il a pu être présenté à Venise mais n’a été diffusé que dans quelques rares salles, les distributeurs et les exploitants craignant des manifestations féministes. Il est même totalement proscrit en France.

Pour Jean-Louis Porchet les difficultés du début ont tourné à la descente aux enfers. Faute de rentabiliser les droits d’exploitation, sous le poids des dettes contractées pour boucler le financement du tournage, son entreprise est menacée de faillite. L’accumulation des tracas finit par accabler le solide cueilleur de champignons.

Le dimanche 24 mars, en route vers un ami à Rennaz, il s’arrête près de Cully, fume un cigare, son péché parcimonieux, et laisse flotter ses pensées sur le lac. Il repart et là, sans pouvoir l’expliquer encore, dans un blanc soudain, traverse la chaussée et écrase sa voiture du haut mur de Lavaux. Fracassé, il la voit prendre feu, reste prisonnier. Et attend les secours dans d’horribles douleurs. Les deux jambes et des côtes cassées, de graves brûlures.

Le voilà, cinq semaines plus tard, dans une chambre du CHUV. Avec le sens de l’humour. «Les jours d’avant, je me disais sans cesse que j’allais dans le mur. J’y suis allé pour de bon!» Et toujours pratique: «Je ne sais pas quand et comment je pourrai rentrer chez moi, mes clés ont fondu dans l’incendie…» Puis un sourire malicieux. «Alors que tout le monde dit des horreurs sur le Jeux olympiques de cet été, une infirmière française me disait sa joie que cette fête mondiale ait lieu à Paris!». De quelles doses d’optimisme et de pessimisme avons-nous besoin? «Difficile à dire, lâche l’alité, quand j’ai des douleurs les médecins me demandent de les chiffrer de 1 à 10 et j’hésite. Comme le jour où une copine m’a demandé de chiffrer mon bonheur sur la même échelle!»

Du haut de ses 75 ans et de sa sagesse rieuse retrouvée après le fracas, Porchet ne produira plus de films. «Mais je vais m’intéresser davantage à l’Histoire. Quand on voit ce qu’ont souffert les gens dans le passé, on se dit que le présent n’est pas aussi accablant qu’il y paraît dans le flot des nouvelles anxiogènes. Non, le monde ne va pas dans le mur.» Même dans son lit où le temps passe lentement, désormais il regarde moins les chaînes d’info. Victoire sur la trouille. Mais attention, pas besoin pour la célébrer d’aller fracasser notre bagnole et notre propre carcasse avec elle.

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